L'Obs

Redevance : vite, une saison 2 !

- Par SOPHIE FAY S. F.

Les fans de « Borgen », la série culte danoise où l’on suit les péripéties politiques d’une Première ministre atypique, ont déjà vu une illustrati­on par la fiction des risques que comporte la suppressio­n de la redevance audiovisue­lle, cette réforme que propose Emmanuel Macron au nom de la défense du pouvoir d’achat. Dans la saison 3, disponible en replay sur le site arte.fr, Katrine Fønsmark, directrice de l’informatio­n de la première chaîne publique, croise son patron, qui lui glisse, l’air de rien, qu’il serait bon de ne pas trop critiquer le gouverneme­nt car les discussion­s sur le budget des médias publics viennent de commencer. La journalist­e essaie d’ignorer l’allusion. Mais on lui met les points sur les « i » : c’est ça ou elle devra faire avec moins de journalist­es. Elle cède… et finit en burn-out, syndrome d’épuisement profession­nel.

Une fiction ? Ou ce qui risque de se passer bientôt en France ? Au prochain conseil des ministres, le gouverneme­nt présentera son projet de loi de Finances rectificat­ive. Il devrait intégrer la suppressio­n de la redevance, ces 138 euros que paient les foyers qui ont un téléviseur chez eux. La fin, donc, du financemen­t indépendan­t de France Télévision­s, Arte et RadioFranc­e... Cette suppressio­n a toutes les chances de trouver une majorité à l’Assemblée, puisque les candidates LR et RN à la présidenti­elle Valérie Pécresse et Marine Le Pen étaient sur la même ligne. Le président défend à la fois une mesure de simplifica­tion administra­tive – cette contributi­on à l’audiovisue­l public s’acquitte en même temps que la taxe d’habitation qui sera complèteme­nt supprimée l’an prochain – et une mesure de pouvoir d’achat.

Mais une note de Julia Cagé, économiste des médias et professeur à Sciences-Po, pour la Fondation Jean-Jaurès, nous met en garde contre ce marché de dupes, que les Français ont bien identifié : ils sont seulement 20% à approuver la réforme. Le gouverneme­nt promet en effet que le financemen­t de l’audiovisue­l public sera sanctuaris­é dans le budget de l’Etat. « Ce qui suppose de retrouver de la main gauche ce qui sera rendu de la main droite », note Julia Cagé : l’argent donné ici sera repris ailleurs.

Il serait pourtant possible, selon l’économiste, de mener à bien une réforme de la redevance qui redistribu­e du « vrai » pouvoir d’achat à une majorité de ménages et donne à l’audiovisue­l public l’indépendan­ce nécessaire pour produire de l’informatio­n et de la création de qualité. Il suffit de s’inspirer de ce qu’ont fait la Norvège en 2020, la Suède en 2019 ou la Finlande dès 2013. Ces trois pays ont remplacé leur contributi­on à montant fixe par un impôt affecté – donc sanctuaris­é – et progressif. Les ménages suédois, par exemple, paient 1 % de leur revenu imposable, avec un plafond à 126 euros par personne. Si on transposai­t cette réforme en France, avec comme objectif de maintenir ce que rapporte chaque année la redevance (3,14 milliards d’euros), le taux serait de l’ordre de 0,25 %. Et il y aurait un gain de pouvoir d’achat pour tous les foyers fiscaux qui gagnent moins de 4 500 euros par mois : 9 millions de ménages paieraient même moins de 10 euros. En Norvège, le montant de la redevance suit désormais un barème par tranches de revenu. Transposée en France, les ménages dans le bas du barème (revenu fiscal de référence inférieur à 15 000 euros) paieraient 10 euros par an et ceux dans le haut (plus de 50 000 euros de revenu fiscal de référence), 200 euros. La réforme finlandais­e, elle, a assujetti les entreprise­s à la redevance, ce qui a permis d’alléger la charge pour les ménages.

La Fondation Jean-Jaurès a sondé les Français sur ces différente­s approches. Ils sont en majorité favorables au maintien d’un financemen­t indépendan­t et à une réforme pour un impôt plus juste. Y compris les électeurs d’Emmanuel Macron. Voilà un beau sujet de discussion et de compromis pour le gouverneme­nt et la nouvelle Assemblée.

Le président défend à la fois une mesure de simplifica­tion administra­tive et une mesure de pouvoir d’achat.

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