L'Obs

La vie d’un jupon

- Par SOPHIE FONTANEL

Quand, en 1947, Christian Dior imagine la fameuse jupe Corolle, nécessitan­t tant de tissu, il est loin de l’esprit du jupon de flamenco. Sa jupe à lui proclame l’opulence, une sorte d’idée illimitée du luxe, quand le jupon de flamenco, lui, trouve sa source parmi les plus pauvres, les Gitans. Et puis là, à Séville, où Dior vient de présenter sa collection Croisière 2023, voici que ces deux vêtements s’unissent.

Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Christian Dior, est partie d’une photo de Jackie Kennedy datant de 1966, à la Feria d’Avril à Séville. Petite veste de torero, chapeau andalou, blouse à frou-frou. Un air un peu espagnol de Jackie la presque Française. Chez Dior, il lui a fallu ce trait d’union pour faire se réunir deux mondes. Le sait-elle, Maria Grazia, que Jackie vénérait cette esthétique andalouse et que, devenue Mme Onassis, elle irait jusqu’à Capri portant jupons et mantille ? Oui, je suis sûre qu’elle le sait.

Les grandes idées sont souvent celles qui étaient là sous nos yeux. Yves Saint Laurent était tombé amoureux de ces jupons – et lui aussi les adorait à seulement deux étages, et lui aussi les bouclait d’une large ceinture. Mais quelque chose se passe ici avec cette collection Croisière 2023 entre l’esthétique andalouse et les codes de Christian Dior. Bien sûr qu’un sac Selle a à voir avec l’équitation, c’est l’évidence ; bien sûr que la veste Bar a à voir avec les cavalières. Bien sûr que ces talons plats a ectionnés par Maria Grazia ont à voir avec la vie dans une hacienda. Bien sûr que la liberté de mouvement apportée par la jupe Corolle a à voir avec le flamenco. Et même, si mes souvenirs sont bons (ils le sont), Cecil Beaton raconte dans une partie de son journal (« The Restless Years ») avec quelle fougue Greta Garbo s’était acheté une jupe Corolle de Christian Dior, rêvant déjà aux larges enjambées que ce vêtement allait permettre, pour finalement ficher en l’air sa jupe hors de prix un jour de trombes d’eau, l’eau l’alourdissa­nt et surtout la détendant dramatique­ment, et à jamais.

Les nouveaux jupons et jupes pensés par Maria Grazia Chiuri lui feraient sans doute perdre la tête. Ils sont étudiés pour ne pas peser, et même à peine se repasser. Car entre-temps, la maison Dior s’est dotée d’une femme qui ne pense qu’à ça, à faciliter la mobilité et le confort des femmes. Par-delà la splendeur du show (danse de Belén López, chorégraph­ie de Blanca Li, orchestre dirigé par Alberto Iglesias, immense compositeu­r des musiques des films d’Almodóvar, la gigantesqu­e plaza de España, lieu de rêve), la fusion Dior-Andalousie fait sens, comme ces deux petites statuettes de « l’Homme de Rio » qui se (re)trouvent enfin.

Sans doute pour cette raison, il a été si facile de travailler avec les artisans de Séville, impliqués en tous points. Sans doute pour cette raison, Maria Grazia reçoit une ovation des danseurs à la fin. De l’amour. Un ami me dit, passant les looks en revue : « C’est littéral. » Mais non, mais non mon vieux, ça n’est pas littéral et je vais te dire ce que c’est : c’est totalement pertinent. Ce sera partout. ■

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DIOR, COLLECTION CROISIÈRE 2023, INSPIRÉE PAR L’ANDALOUSIE.

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