L’HÔPITAL FRACASSÉ
Documentaire de Marion Angelosanto, raconté par Daniel Pennac (2021). 52 min.
On croit à tort depuis des années que le petit monde effervescent comme l’aspirine qui déploie des banderoles « En grève » aux fenêtres des hôpitaux nous parle de ses conditions de travail. Or c’est de tous qu’il parle « et de la rupture de soins qui est en train de nous tomber dessus », comme l’a déclaré Marion Angelosanto au jour de la réception de son prix au Festival international du Grand Reportage d’Actualité (Figra) pour cette « Fabrique du soin ». Récompensée pour son excellence autant que pour le beau regard décalé qu’elle porte sur les choses, Marion Angelosanto a eu cette idée peu banale : faire de l’hôpital le personnage central du film et non d’un soignant ou de plusieurs comme c’est l’usage. Le CHU de Clermont-Ferrand parle donc ici à la première personne (l’écrivain Daniel Pennac lui prête sa voix). Il dit l’effroi ressenti face à sa mise à mort par asphyxie budgétaire et désinvolture administrative, raconte l’injustice de se voir euthanasié à petit feu sans avoir signé aucun consentement, d’être privé d’oxygène (absence de budget à la hauteur) et amputé de ses organes (fermeture de services). Il exprime aussi sa fierté de savoir réanimer un prématuré ou faire avec douceur et affection les gestes de la kiné sur un bébé de 700 grammes. Ce que Marion Angelosanto fait sentir remarquablement, c’est à quel point on bricole désormais à l’hôpital public. S’il tient encore, on le doit à la bonté de soignants qui trouvent des lits là quand il n’y en a plus ici et qui écourtent leurs vacances pour revenir faire le travail de ceux qui devraient être recrutés ou remplacés. Ceci n’est pas un accident. C’est une politique. Le dévouement pallie le cynisme ou la lâcheté d’élus complices d’un phénomène redoutable : la finance est en train de mettre la main sur le « marché de la santé ». On voit déjà des fonctionnaires hospitaliers découragés détaler vers la sphère privée, comme le décrit Bernard Granger, psychiatre à l’hôpital Cochin, dans un livre récent, court, désespérément burlesque, intitulé « Excel m’a tuer. L’hôpital fracassé » (Odile Jacob), que l’on recommande chaleureusement à nos lecteurs.