L'Obs

MAGIQUE ADOLESCENC­E

LICORICE PIZZA

- NICOLAS SCHALLER

Comédie dramatique américaine de Paul Thomas Anderson (2022). Avec Alana Haim, Cooper Hoffman. 2h11.

Lui, Gary Valentine, a 15 ans et en fait 20. Enfant acteur au visage poupin, il vit avec sa mère et son petit frère, et démontre un fort esprit d’entreprise. Elle, Alana Kane, a 25 ans et en fait cinq de moins. Forte tête « au nez très juif », elle papillonne d’un job à l’autre, au grand dam de ses parents et de ses deux soeurs. Gary drague Alana, Alana éconduit Gary, trop jeune pour elle. Mais ils ne se quittent plus, Gary ayant à coeur d’associer sa « future épouse » à son commerce naissant de waterbeds. On ne saurait trouver personnage­s, ton et décors plus différents que ceux de « Phantom Thread », le précédent chef-d’oeuvre de Paul Thomas Anderson. Pourtant, « Licorice Pizza » raconte la même chose : le duel d’un couple qui apprivoise ses névroses avant de pouvoir s’aimer. « Phantom Thread » convoquait les fantômes de Hitchcock et du roman gothique pour décoincer un grand couturier anglais et démêler les fils oedipiens de sa relation à sa muse. « Licorice Pizza » souffle un vent d’innocence et de légèreté, venu de la comédie romantique, dans une Cité des Anges où capitalism­e et libération sexuelle font un drôle de ménage. Car la joute sentimenta­le de ces deux amoureux platonique­s dans la San Fernando Valley de 1973, où le sexe est moteur de tout, dessine en creux, au fil de leurs rencontres, un portrait bien barré de Los Angeles. Entre le crépuscule du Hollywood classique (Sean Penn en ersatz de William Holden, has been alcoolo réduit à singer ses exploits passés) et l’égocentris­me cocaïné du Nouvel Hollywood (Bradley Cooper dans la peau du producteur libidineux Jon Peters). Entre la gueule de bois de l’ère Nixon et l’espoir de lendemains meilleurs. Toute la beauté de « Licorice Pizza » consiste à chroniquer la ville en épousant les sautes d’humeur et poussées d’hormones de Gary et Alana. Quant au choix du réalisateu­r de les incarner par la chanteuse Alana Haim et Cooper Hoffman (fils de feu l’acteur fétiche d’Anderson, Philip Seymour Hoffman), il confine au génie. Vibrer à l’unisson de leurs personnage­s, au rythme d’une bande-son à tomber, apparaît d’autant plus miraculeux.

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