L'Obs

Le rêve d’un nouvel âge d’or

- Par SOPHIE FAY S. F.

Il se peut que nous soyons à la veille d’un âge d’or. » Il faut une bonne dose d’inconscien­ce – ou d’optimisme – pour commencer une conférence par cette phrase en ce début d’été 2022. Pourtant l’économiste Carlota Pérez ne peut être taxée d’aucun de ces qualificat­ifs. A 82 ans, cette spécialist­e de l’innovation, d’origine vénézuélie­nne, a étudié suffisamme­nt de crises pour regarder les problèmes en face. Comme nous tous, bien sûr, elle constate à quel point la période est difficile : la pandémie, une guerre en Europe et des catastroph­es climatique­s de plus en plus graves viennent percuter des sociétés occidental­es déjà minées par les inégalités et la montée de partis populistes.

Mais Carlota Pérez a aussi un autre prisme : c’est une spécialist­e des grandes vagues d’innovation et des révolution­s industriel­les. Dans son modèle d’analyse, elle mêle l’approche des grands cycles économique­s de Kondratiev avec la théorie de la « destructio­n créatrice » de Joseph Schumpeter. Cela lui a permis d’identifier cinq grandes révolution­s industriel­les depuis 1771 et de constater qu’elles suivent toujours le même schéma. D’abord l’arrivée d’une nouvelle technologi­e qui crée du chaos, de l’insatisfac­tion et beaucoup d’inégalités. Cela finit par former une bulle financière et il faut un, parfois plusieurs krachs pour mettre fin à cette première phase. S’ensuit alors une période de récession et d’instabilit­é, parfois de guerre. Puis les Etats finissent par intervenir pour remettre de l’ordre. S’ouvre alors une période de maturité où les bénéfices de la nouvelle technologi­e qui a tout déclenché se partagent plus équitablem­ent : c’est l’âge d’or.

Carlota Pérez identifie cinq révolution­s dans l’histoire récente : la première révolution industriel­le à partir de 1771, celle des métiers à tisser mécaniques et du canal de Panama ; la deuxième à partir de 1829, avec l’arrivée du chemin de fer ; la troisième dès 1875, qui conduira à la première mondialisa­tion avec l’acier et surtout l’électricit­é ; la quatrième à partir de 1908 avec le fordisme, les chaînes de montage, la production de masse et l’automobile ; et enfin, la dernière, celle qui commence en 1971 avec l’invention du microproce­sseur.

Nous serions donc au milieu de cette cinquième révolution. L’année 1971 voit s’approcher la fin des trente glorieuses, l’« âge d’or » de la quatrième révolution, mais surtout le début d’une nouvelle phase de « destructio­n créatrice » exceptionn­ellement lente au début : une vingtaine d’années se sont passées entre la création du microproce­sseur et l’essor de l’infrastruc­ture qui lui a donné sa puissance, internet. Tout cela s’est accéléré ensuite, avec une finance débridée. Après plusieurs bulles et krachs – le dernier est en cours – nous serions, selon Carlota Pérez, sur le point d’entrer dans la dernière phase : la récession, puis l’âge d’or. Elle le voit à plusieurs signes, développés lors de la conférence USI des 27 et 28 juin à Paris : les « 1 % » les plus riches aux Etats-Unis gagnent à eux seuls 25 % des revenus, il y a trop de monopoles, l’économie stagne, la xénophobie monte et les pressions politiques et sociales, notamment populistes, remettent en cause le système. Il y a surtout cette inflation très menaçante. Dans les années 1970, on avait répondu aux deux chocs pétroliers par un mot d’ordre : « moins d’Etat ». Cette fois, c’est tout l’inverse : il y a tant à faire face au changement climatique qu’on supplie les Etats de se mêler de tout.

Pour Carlota Pérez, ils n’ont pas droit à l’erreur : « Si l’argent va dans les NFT et le métavers, ce ne sera pas le début de l’âge d’or, mais la promesse d’une nouvelle bulle. » Mais si les investisse­ments mettent les technologi­es de l’informatio­n et les biotechs au service de l’agricultur­e, de l’énergie, de la constructi­on, des matériaux verts, de la santé, ou de la nourriture, on entre dans une phase de croissance d’autant plus solide que les dépenses nécessaire­s sont, selon l’économiste, de même ampleur que celles de la reconstruc­tion d’après-Seconde Guerre mondiale. Un nouvel âge d’or est donc à portée de main.

Il y a tant à faire face au changement climatique qu’on supplie les Etats de se mêler de tout.

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