L'Obs

Devoir de déconnexio­n

- Par XAVIER DE LA PORTE X. D. L. P.

Nos ancêtres avaient une passion appelée « vacances ». Elle ne peut être comprise que si on l’envisage en contrepoin­t d’une passion contraire, appelée « travail ». Longtemps, les deux furent assez clairement séparées par une logique spatiotemp­orelle : dans un lieu et un temps on était « au travail », dans d’autres lieux, d’autres temps (plus rares), on était « en vacances ». Mais, à mesure qu’ils inventèren­t de multiples outils abolissant l’espace et le temps, nos aïeux virent ces deux passions se mêler. Ainsi naquit une passion nouvelle appelée « déconnexio­n ». Il s’agissait de redessiner des limites, de désunir ce qui avait été mélangé, un peu sur le modèle de la séparation entre l’eau chaude et l’eau froide qui avait occupé leurs rêveries quelques siècles auparavant. Pour ce faire, ils imaginèren­t de nombreux moyens relevant de di érents registres : des lois (registre juridique), des règles personnell­es (registre éthique), des retraites (registre religieux, mais uniquement dans l’ordre du symbolique, car, dans les faits, des gens malintenti­onnés s’enrichiren­t beaucoup en proposant des séjours où il s’agissait de payer très cher pour se priver de tout). Ainsi donc, nos aïeux créèrent une situation paradoxale où cette période théoriquem­ent dédiée au relâchemen­t, au libre arbitre, devenait très contraigna­nte et se parait d’un enjeu ultime : prouver à soi-même et aux autres qu’on était capable de résister un temps à une jouissance que, de toute façon, on retrouvera­it très vite. Autrement dit, pendant toute une partie du e siècle, nos ancêtres créèrent un état de vacances exigeant d’eux beaucoup plus d’e orts que l’état de travail. Fort heureuseme­nt, cela ne dura pas, et l’indistinct­ion des deux états, qui fut décidée quelques décennies plus tard, mit fin aux torsions mentales de nos pauvres ascendants.

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