L’axe du mâle
PAR DOMINIK MOLL. THRILLER FRANÇAIS, AVEC BOULI LANNERS, BASTIEN BOUILLON, PAULINE SERIEYS, MOUNIA SOUALEM, THÉO CHOLBI (1H54).
Comme souvent chez Dominik Moll (« Harry, un ami qui vous veut du bien », « Lemming », « Seules les bêtes »), un personnage fait intrusion, dans un univers déjà constitué : ici Yohan (Bastien Bouillon), flic taiseux promu chef de groupe à la PJ de Grenoble. Sa première affaire (elle va l’obséder des années)? Le meurtre de Clara, brûlée vive par un type cagoulé alors qu’elle rentrait chez elle de nuit, après une fête, dans une zone pavillonnaire de la vallée de la Maurienne. Un carton l’indique au début du film, l’assassinat de Clara ne sera jamais élucidé. Déceptif? Non, tant cette impasse assumée donne sa singularité à ce polar sec aux accents post-#MeToo, filmé au sein de montagnes oppressantes dans un territoire industriel et pollué, qui bifurque vite sur les dysfonctionnements de la société et, plus précisément, sur la tension des rapports hommes-femmes.
Tandis que dans les bureaux, en bagnole ou au resto on parle heures sup non payées, vie privée en miettes et photocopieuse en panne, Yohan et Marceau (Bouli Lanners), son binôme sanguin – « C’est toujours les femmes qu’on fait brûler, c’est toujours les hommes qui mettent le feu » –, interrogent les proches de Clara, coups d’un soir désinvoltes, rappeur improbable, zonard mytho, sale type vite enclin à se servir de ses poings (dont rien ne dit qu’ils sont innocents) : ils dépeignent vite la victime en fille peu farouche attirée par les bad boys. Dans une scène intense, Nanie, une de ses amies, remet les pendules à l’heure : Clara a été tuée non parce qu’elle était une fille facile, mais parce qu’elle était une fille. Point barre. Dominik Moll autopsie le mal que nous portons tous en nous – comme dans chacun de ses films –, multiplie les plans sur le vélodrome où Yohan, de jour comme de nuit, enchaîne jusqu’à l’épuisement les tours de piste – allégorie d’une enquête qui patine inexorablement et ne trouvera jamais sa porte de sortie –, joue avec les nerfs du spectateur, qui, en dépit de toute logique, se prend à penser que le cas trouvera sa résolution. Il convoque une juge d’instruction humaine (Anouk Grinberg) soucieuse de relancer l’enquête et une nouvelle arrivée dans la brigade qui enfonce encore le clou : « Les hommes tuent et les hommes font la police, curieux, non ? » Autant de femmes venues le souligner : dans ce beau film très maîtrisé, un des meilleurs de Moll, c’est bien la masculinité toxique qui est sur le banc des accusés.