L'Obs

Les combats de Pignon-Ernest

ERNEST PIGNON-ERNEST. FONDS HÉLÈNE & ÉDOUARD LECLERC POUR LA CULTURE, LANDERNEAU (FINISTÈRE). JUSQU’AU 15 JANVIER 2023. WWW.FONDS-CULTUREL-LECLERC.FR ET 02-29-62-47-78. TOUS LES JOURS, DE 10H À 18H.

- JULIEN BORDIER

Il est commode de considérer Ernest PignonErne­st, 80 ans, comme le pionnier de l’art urbain. Certes, il intervient dans la rue. Mais le cantonner au street art, ce serait rester à la surface des choses. La monographi­e que lui consacre le Fonds Hélène & Edouard Leclerc, à Landerneau, réhabilite la profondeur et la complexité d’un artiste aussi humble que prolifique. L’espace public n’est pas pour Pignon-Ernest une galerie mais participe à l’oeuvre d’art. Les linceuls de papier (des chutes de rotatives du « Monde ») qu’il colle à des endroits choisis réactivent une mémoire oubliée. Ces personnage­s (poètes, mystiques chrétienne­s, immigrés…) essaimés à travers le monde, de Santiago à Soweto, sont l’aboutissem­ent d’un trait et d’une pensée qui puisent dans l’histoire de l’art, la mythologie, la littératur­e. Né en 1942, Ernest Pignon, pour l’état civil, est un autodidact­e. Son père travaille aux abattoirs, sa mère est coiffeuse. A 15 ans, le Niçois quitte l’école. Marqué par Picasso, il se lance dans le dessin.

En 1966, il s’installe dans le Vaucluse sur le plateau d’Albion, à quelques encablures des installati­ons de la force de frappe nucléaire française. Il ne parvient pas à représente­r en peinture l’effroi de la menace atomique. Inspiré par l’ombre portée d’un homme foudroyé par le flash de la bombe larguée sur Hiroshima, il reproduit au pochoir ce spectre macabre aux abords de la route qui mène aux installati­ons militaires. Chez Ernest Pignon-Ernest, la présence in situ de l’image dénonce l’absence. A Landerneau, une salle accueille ses grands travaux militants réalisés entre 1971 et 1979 : combat contre l’apartheid à Nice, centenaire de la Commune de Paris, lutte en faveur de l’avortement… A Naples, dans les années 1990, ses créatures charbonneu­ses dialoguent dans les ténèbres avec Le Caravage. L’accrochage des études préparatoi­res trahit le talent de leur auteur. « Il faut qu’il y ait assez d’effet de réel pour créer l’émotion et en même temps tenir le réalisme à distance », résume-t-il. Plus loin, Ernest Pignon-Ernest porte au rang d’icônes contempora­ines Maurice Audin, torturé et tué durant la guerre d’Algérie, une Sud-Africaine tenant dans ses bras un mort du sida ou Jacques Stephen Alexis, écrivain victime de la dictature haïtienne. La figure qui marque le plus la rétine et les esprits est celle de Pier Paolo Pasolini portant sa propre dépouille. Une silhouette christique dispersée en Italie en 2015 à l’occasion du 45e anniversai­re de son assassinat. Le fantôme du poète hante désormais les cimaises bretonnes.

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« Pasolini portant sa propre dépouille », 2015.

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