L'Obs

CLUEDO MADE IN FRANCE

MARIE OCTOBRE

- FRANÇOIS FORESTIER

Drame français de Julien Duvivier (1959). Avec Danielle Darrieux, Lino Ventura, Serge Reggiani, Bernard Blier. 1h34.

Drame en huis clos, polar post-Résistance, jeu de devinettes inspiré d’Agatha Christie, « Marie-Octobre » est l’un de ces films qu’on admire (la mise en scène est signée Julien Duvivier, on ne peut pas faire mieux), mais qu’on hésite à revoir, à cause de son aspect théâtre filmé. Des camarades de la Résistance se retrouvent, quinze ans après la guerre, pour un dîner au cours duquel ils vont essayer d’identifier le traître qui les a vendus aux Allemands. Il y a là la directrice d’une maison de couture, un industriel, un avocat, un ancien catcheur, un employé du Trésor, un plombier, un boucher, un prêtre, un imprimeur, un médecin. Tiré d’un roman de Jacques Robert, scénariste en vogue dans les années 1950 et 1960 (« le Désordre et la Nuit », « la Valse du Gorille », « Maigret voit rouge »), le film repose sur deux éléments cruciaux ; d’une part, le décor, forcément étouffant avec ses meubles de luxe. Georges Wakhévitch, artiste né à Odessa, qui a débuté avec Jean Epstein (« l’Homme à l’Hispano »), a créé cette maison bourgeoise qui semble se refermer sur les invités ; d’autre part, l’interpréta­tion (beaucoup de dialogues). Là, le casting est royal : Danielle Darrieux (photo), au sommet de sa beauté (et de sa froideur sexy) ; Paul Meurisse, spécialist­e du ton hautain et de la phrase qui tue ; Bernard Blier (photo) en sombre accusateur, à l’opposé de son personnage comique chez Audiard ; Lino Ventura, dans sa période intermédia­ire (il n’est pas encore une vedette, mais on sent que ça vient) ; Noël Roquevert, éternel râleur survolté (d’habitude), ici mué en fonctionna­ire étroit… Quant aux seconds rôles, le plaisir de retrouver des acteurs comme Paul Frankeur, Serge Reggiani (photo), Paul Guers et Daniel Ivernel suffit à notre bonheur. Et je n’oublie pas Robert Dalban, ex-comique troupier, incroyable dragueur (il avait la réputation d’être un champion avec les dames), tchatcheur avec le plus bel accent parigot jamais entendu à l’écran (quand il doublait Burt Lancaster, celui-ci devenait un enfant de la Butte). C’est comme si Duvivier avait fait une razzia chez les comédiens populaires. D’où, malgré tout, un bonheur de cinéma : tout ce monde fait des étincelles.

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