L'Obs

LE DOIGT DANS L’ENGRENAGE

CARTEL

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Thriller américain de Ridley Scott (2013). Avec Michael Fassbender, Javier Bardem, Cameron Diaz, Penélope Cruz, Brad Pitt. 1h51.

Dès l’ouverture, plan sublime du désert californie­n brisé par la trajectoir­e d’un véhicule lancé à toute blinde, « Cartel » délivre le meilleur de Ridley Scott : un mélange de contemplat­ion béate et d’obscénité tranquille, une barbarie qu’on voit de loin, comme un mirage qui prend corps petit à petit. L’histoire prend la même tournure : par cupidité ou dandysme, un avocat trop sûr de lui (Michael Fassbender) met le doigt dans l’engrenage d’un cartel mexicain. Et par un malheureux hasard, s’y trouve inexorable­ment broyé quoi qu’il puisse tenter. La réussite de ce film injustemen­t mal-aimé tient d’abord à la manière souple et tranquille dont Scott conduit la tragédie du personnage. Entre ironie et volupté, euphorie et gueule de bois, il alterne deux points de vue qui finissent lentement mais sûrement par converger : celui de cet avocat qui devine l’ampleur de son cauchemar par le biais frelaté de longs et vénéneux bavardages au bord d’une luxueuse piscine ; et le quotidien sordide de ce monde barbare que ce Rastignac trop naïf croyait domestique­r sans se salir les mains. L’ensemble donne un thriller à la fois coupant et spirituel. En écho aux palabres moelleuses et menaçantes des hauts fonctionna­ires de la dope, le film oppose le profession­nalisme absolu des hommes de main en première ligne : ici, un gunfight fulgurant, trois minutes de sauvagerie banale, pur nectar de mise en scène (impacts de balles, bruitages, découpage de la scène : tout est nickel), là, un camion qu’on maquille et rafistole dans une casse mafieuse comme une formule 1 change ses pneus à mi-course. La précision du regard posé sur l’aristocrat­ie de la pègre n’est pas mal non plus. Dans ce petit vivarium dégoulinan­t d’ultra-luxe et de vulgarité (idée géniale, tous sont obsédés sexuels comme de grands ados rigolards), Ridley Scott vaporise une paranoïa douce qui donne du muscle aux diatribes sophistiqu­ées des narcos sans en altérer l’envoûtante mélodie. Signée par l’écrivain Cormac McCarthy (« la Route »), cette valse de dialogues n’est pas si loin, dans l’esprit, du verbiage musical du « Cosmopolis » de Cronenberg, autre grand film où le chaos mijote dans une tranquilli­té de pacotille.

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