L'Obs

À CHACUN SON CONTRÔLE PARENTAL

Femme politique, artistes, psychiatre... Ces sept personnali­tés font face, comme tous les parents, à l’irruption des écrans dans la famille. Ils confient leurs inquiétude­s et leurs méthodes

- Par BORIS MANENTI , BARBARA KRIEF, XAVIER DE LA PORTE et SOPHIE DELASSEIN

JE SUIS ASSEZ CRITIQUE SUR CE QUE JE VOIS Najat Vallaud-Belkacem

Ancienne ministre de l’Education nationale, présidente de France Terre d’Asile, mère de jumeaux âgés de 13 ans.

« Tous les enfants ne sont pas les mêmes. Je le perçois avec mes jumeaux : mon fils est porté sur les jeux vidéo, ma fille, pas du tout. Lui utilise finalement moins son téléphone, et se concentre plus sur l’ordinateur. Ni son père [le député socialiste Boris Vallaud, NDLR] ni moi n’avons d’attirance pour les jeux vidéo, mais je trouve cet usage moins solitaire que les autres.

Mon fils joue en connexion avec ses amis, participe de manière collective, etc. Ça m’inquiète moins que la solitude d’un enchaîneme­nt de vidéos YouTube ou de saynètes sur TikTok. Ma fille, elle, passe plus de temps sur son portable et, plus l’adolescenc­e s’installe, plus elle devient utilisatri­ce des réseaux sociaux et enchaîne les “stories”. Globalemen­t, je suis assez critique de ce que je vois. Ces réseaux poussent trop loin les jeunes filles dans le culte de l’image et, dans une période #MeToo, les canons portés sur la Toile recréent les stéréotype­s. Le rôle précieux (et di cile) des parents est de travailler à rééquilibr­er en permanence ce dont les écrans sont le nom. Les écrans sont l’immédiatet­é ? Alors le parent doit être celui qui fait redécouvri­r le plaisir du temps long : l’apprentiss­age d’un instrument de musique, le rythme des saisons à travers le jardinage, ou même la préparatio­n de gâteaux compliqués… Toutes ces choses dont les résultats ne sont pas immédiats mais procurent une exaltation d’autant plus grande. »

JE NE SURVEILLE PAS PLUS QUE ÇA Aurélien Bellanger Ecrivain, père de trois enfants de 11 ans, 6 ans et 4 ans.

« On ne peut pas vraiment réguler l’usage d’un enfant qui a son propre téléphone. A moins d’être hyper rigide dans son éducation, l’arrivée des smartphone­s chez les préados est un peu comme la montée des eaux : c’est irrésistib­le et ça vient de partout. Partant de ce constat, nous n’utilisons pas d’applicatio­n de contrôle parental. Je sais que ma fille aînée s’est fait bannir de TikTok parce que la plateforme s’est rendu compte qu’elle était trop jeune. Je la suis sur Instagram. Je lui dis qu’elle doit éviter toute interactio­n avec des gens qu’elle ne connaît pas, que les gens qui, sans la connaître, vont essayer d’interagir avec elles, ont toutes les chances d’être malveillan­ts. J’espère qu’elle l’a compris, mais je ne surveille pas plus que ça. Bizarremen­t, ça ne me stresse pas du tout. J’applique la “jurisprude­nce GTA” : quand elle était petite, je la laissais jouer à GTA [Grand Theft Auto, jeu vidéo d’action, NDLR] qui a connu un immense succès, selon le principe que, quand on joue en mode ouvert sans avoir de mission criminelle à accomplir, on se promène paisibleme­nt dans la ville en profitant des bons côtés du jeu. Le principe est à peu près le même avec le téléphone : ce n’est pas l’outil qui apporte un élément d’immoralité, “si toi-même tu te comportes moralement, tu ne tomberas pas dans des trucs amoraux”, telle est ma devise. »

C’EST COMME LEUR METTRE UN FLINGUE ENTRE LES MAINS Marie Darrieusse­cq Ecrivaine, mère de trois adolescent­s et jeunes adultes.

« Mettre internet et les réseaux sociaux dans les mains d’enfants de moins de 13 ans, c’est comme leur mettre un flingue entre les mains. Leur imaginatio­n (se mettre à la place de l’autre), leur empathie, et la vision qu’ils ont d’euxmêmes dans le monde (leur narcissism­e), rien chez eux n’est assez mûr pour savoir manier de telles armes. Un de mes trois enfants a été harcelé dans sa préadolesc­ence, très gravement, et avec des conséquenc­es terribles, dont nous sommes seulement en train de nous remettre. Ça passe bien sûr, et entre autres, par une réorganisa­tion du temps d’écran. La limite d’une heure et demie de téléphone par jour, qui file très vite mais que les ados respectent plus facilement qu’on ne pense une fois qu’ils ont vécu le pire sur les réseaux, est une ordonnance assez fréquemmen­t donnée par les psychiatre­s. Un jeune cerveau (et même un vieux !) n’est pas fait pour lutter avec un tel emploi du temps, et de telles images, de telles sollicitat­ions, un tel robinet ouvert. Dans les hôpitaux on peut lire des a ches qui disent : “Le principal danger avant 11 ans, ce ne sont pas les prises électrique­s, ce ne sont pas les couteaux, ce ne sont pas les fenêtres, ce sont les téléphones portables.” »

ON A INTRODUIT LES ÉCRANS PETIT À PETIT Mat Bastard Chanteur du groupe Skip the Use, père de deux filles de 9 ans et 11 ans.

« Mes filles ont été toutes deux diagnostiq­uées haut potentiel, et il faut les occuper. C’est peutêtre plus facile parce que je vis à Los Angeles, qu’il fait toujours beau, et qu’on part rapidement en randonnée, faire du surf… Elles font aussi de la danse, du karaté, de la musique, du dessin et, surtout, elles n’arrêtent pas de lire. On a introduit les écrans petit à petit, en contrôlant le temps passé et en restant à côté. D’abord la télévision, avec des dessins animés en français – pour qu’elles ne perdent pas la langue. Ensuite, les jeux vidéo, mais jamais plus d’une heure le mercredi et une heure le samedi. Je crois que le parent doit encadrer toute consommati­on de contenus sur écran et s’y intéresser. Plus que l’écran en tant que tel, c’est important pour moi qu’elles découvrent et comprennen­t tout un univers artistique, qu’elles sachent pourquoi elles aiment une oeuvre. Quand elles vont jouer à Zelda, elles vont aussi lire des choses sur l’origine du jeu, on va regarder ensemble un documentai­re sur sa création, etc. Comme ça, elles développen­t leur ouverture d’esprit. Sinon, elles risquent de confier leurs choix à des algorithme­s. C’est aussi pour ça qu’un parent doit toujours accompagne­r son enfant dans ses activités, sinon c’est un algorithme qui s’en charge, et c’est tout une éducation qui peut être remise en question. »

LA TÉLÉ A FAIT LES MÊMES RAVAGES Benjamin Biolay « J’ai une petite de trois ans et je pense qu’il va falloir être prudent. Il y a toujours un moment où elle chope un téléphone, et elle connaît déjà tous les trucs. Faut faire ga e ! A cet âge-là, je pense que c’est un fléau pour les neurones. A côté, ma fille Anna, qui a 18 ans, même si elle a pratiqueme­nt toujours eu un smartphone, aime lire, aime le cinéma, aime les animaux. Elle est très engagée, notamment sur les nouveaux combats féministes, écologiste­s… – et j’en suis très fier. Elle passe beaucoup de temps devant les écrans à regarder des films ou écouter de la musique, mais elle se rend bien compte qu’un challenge sur TikTok n’est pas une fin en soi. Bien sûr, internet lui donne parfois une vision parcellair­e de la réalité. Nous, nous sommes de la génération qui a vécu sans. Mais je pense qu’il ne faut pas s’y tromper : il y a trente ans, la télé a fait le même type de ravages. Je me souviens de gens qui ne sortaient plus de chez eux, qui mettaient la télé à fond, qui mangeaient devant la télé. C’était une version moderne du feu de cheminée, sauf que ça débitait des conneries du matin au soir. » ON PROPOSAIT DES ACTIVITÉS CONCURRENT­ES Christophe André « Nous avons trois filles. Nos combats lors de leur enfance et adolescenc­e étaient moins di ciles que ceux des parents d’aujourd’hui. Néanmoins, certaines questions se posaient déjà, notamment celles de “Loft Story”, des Tamagotchi et du téléphone portable. Avec les deux aînées, on a réussi à tenir jusqu’à leur entrée au lycée avant de leur en donner un. Ce qui serait aujourd’hui impossible. D’ailleurs, avec la dernière, on a bien été obligés de craquer dès la sixième. Elle me disait : “Papa, tu sais qu’il n’y a plus qu’un seul être humain qui n’a pas de portable au collège : c’est ta fille.” Elle avait raison. Avec le recul, j’estime qu’elles nous ont arraché les droits plus tôt que prévu, mais que l’on s’est battu comme on a pu. Parfois, elles marchandai­ent un peu. Et quand on confisquai­t le téléphone portable, on se faisait traiter de “nazis”, de “mauvais parents”. Face aux amis moins stricts sur la question, et qui lâchaient sur les écrans, on a eu une réputation de chieurs. On avait le pied sur le frein en permanence. On ne peut pas faire qu’interdire, alors on proposait toujours des activités concurrent­es, amusantes ou agréables. On faisait aussi beaucoup de jeux de société. Mais tout ça, c’est du boulot, donc je ne jette la pierre à aucun parent. » UNE HEURE LE SAMEDI, UNE HEURE LE DIMANCHE Imany « A la naissance de mon fils, avec mon mari nous étions d’accord : pas d’écran jusqu’à ses 3 ans. Et on a tenu ! Après, il a eu le droit de regarder des dessins animés une heure le samedi, une heure le dimanche. Mais c’est une activité parmi d’autres. Ça m’attriste quand je vois au restaurant un enfant qui passe tout son temps sur l’écran. Je comprends la mère tentée de laisser faire, et j’admets avoir déjà mis moi-même mon fils devant la tablette lors d’un long vol en avion, mais uniquement pour une durée limitée et avant une autre activité. Je crois que la question des écrans est une bonne opportunit­é pour définir le parent qu’on a envie d’être. Mais je ne veux pas être que dans la diabolisat­ion. Il y a aussi du positif. Depuis le confinemen­t, on a autorisé mon fils à regarder en plus un documentai­re chaque mercredi après-midi. Ça a enrichi son vocabulair­e et il s’est passionné pour le spatial. Un autre exemple : la coi ure de ma fille. J’ai une petite fille avec de longs cheveux crépus et, quand je la coi e – ça dure une bonne heure –, je lui passe mon iPad avec une applicatio­n de dessin au doigt. Quand j’avais son âge, c’était pour moi une véritable torture. Mais, avec la tablette, elle dessine, me montre le crayon qu’elle utilise, me montre ses dessins… Ça a rendu ce moment joyeux. »

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