L'Obs

En voiture, Samuel !

UNE ANNÉE SUR LA ROUTE, PAR SAMUEL ADRIAN, ÉQUATEURS, 272 P., 18 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Pas étonnant que cette Peugeot 204 des années 1970 soit en fin de course, en fin de vie. Dans mon souvenir, elle avait déjà servi, après une grosse révision, à Pierre Adrian et Philibert Humm pour effectuer « le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui » (2018). Mais Peugeot, c’est du solide. « Elle tiendra », a même lâché un garagiste oraculaire à Samuel Adrian (photo, à droite). Cet ancien khâgneux nietzschée­n et croque-mort saisonnier, qui est le frère cadet de Pierre, venait de décider, l’année précédant le confinemen­t mondial, de partir lui aussi sur les routes du monde sans portable ni GPS, mais en compagnie de son cousin, Xavier, dont le goût de l’aventure n’a d’égal que la foi du charbonnie­r. Au début, malgré sa surcharge de livres et de vins, la 204 a bien roulé. Elle était aussi courageuse qu’un poilu. Les cousins, « enfants pourris de l’après-guerre », ont d’ailleurs commencé leur périple par « une note solennelle », à Douaumont, en déclamant du Péguy. Ensuite, ils ont gagné la Serbie, au rythme de Dire Straits. C’est plus loin, sur une route défoncée des Carpates roumaines, que la 204, dont les amortisseu­rs grinçaient (« Je me figurais qu’elle avait mal aux genoux », écrit son chauffeur compatissa­nt), est tombée en rade. Le condensate­ur était mort et le moteur, à l’agonie. Un mécanicien de Petroșani, qui travaillai­t à la perceuse, la ressuscita. Pour un temps. La 204 entra, en expectoran­t, à Istanbul, monta sur un ferry dans le port de Bakou (où elle fut saluée par un « cycliste irlandais aux cuisses démocratiq­ues »), traversa le Kazakhstan et puis arriva en Russie, dont les habitants, « après avoir manqué du nécessaire, manquent du superflu ». A Samara, elle fut confiée à un garagiste à qui Samuel Adrian, pour le remercier des soins d’urgence qu’il lui avait prodigués, offrit « Lettrines », de Julien Gracq. C’est dire sa générosité et son idéalisme. L’adieu à la 204 eut lieu à Vladivosto­k. Les cousins de 25 ans voguèrent alors vers la Corée du Sud, puis le Japon, cette « utopie », avant de s’envoler vers les Etats-Unis, dont ils arpentèren­t les longues routes à vélo, jusqu’au Mexique. Retour chez les siens, dans le Vexin, Samuel Adrian note : « Le foyer est un réconfort et un piège. Le passé y est partout présent. Rien de ce qu’il y a de neuf en moi n’y pourra trouver audience. » Raison pour laquelle il faut écrire. Et il écrit bien, le bougre. J’oubliais. Le 18 août, Pierre Adrian va publier un roman. Il s’intitule « Que reviennent ceux qui sont loin » (Gallimard) et commence ainsi : « Je ne revins pas à la grande maison par hasard. » La fratrie vagabonde est donc reconstitu­ée. La littératur­e en fait des inséparabl­es, au plumage brillant.

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