Jia Tolentino, new-yorkeuse
JEUX DE MIROIRS, PAR JIA TOLENTINO, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR JOSÉPHINE GROSS ET ELAINE KRIKORIAN, LA CROISÉE, 368 P., 24 EUROS.
Il faut peut-être être un pur produit de l’époque pour comprendre quelque chose à ce monde où tout va trop vite. Quelqu’un capable d’analyser les liens entre capitalisme tardif, culte exacerbé de l’identité et réseaux sociaux électrisés. Quelqu’un comme Jia Tolentino, dont on a parfois dit qu’elle serait la Joan Didion du xxie siècle. Née en 1988, la journaliste a grandi au Texas, au beau milieu d’une « megachurch » évangélique. Elle a été successivement pom-pom girl, star de télé-réalité, bénévole des Peace Corps au Kirghizistan, rédactrice pour les sites féministes The Hairpin et Jezebel avant d’atterrir au « New Yorker ». Récemment remarquée pour son article sur les conséquences de la décision de la Cour suprême sur l’IVG, Tolentino démonte dans ce recueil de neuf essais les faux-semblants et miroirs aux alouettes contemporains, en s’appuyant sur des exemples historiques, littéraires ou personnels. Dans le brillant chapitre « Portrait d’une génération en sept arnaques », elle montre comment le fameux fiasco du Fyre Festival participe de la même démarche que l’élection de Donald Trump. Elle expose aussi les contradictions auxquelles se heurtent les femmes aujourd’hui, « piégées à l’intersection entre le capitalisme et le patriarcat », rapidement catégorisées « difficiles » dès lors qu’elles sont dans la lumière – Hillary Clinton étant la nasty woman en chef. Autre cas de figure savoureux pour Tolentino, l’industrie délirante du mariage, « mise en valeur démesurée [des femmes] en échange de leur disparition ». Etonnante par ses détours inattendus, incisive par sa plume, cette nouvelle observatrice mérite d’être lue et écoutée.