L'Obs

LA LUTTE FINALE

ON VA TOUT PÉTER

- Documentai­re de Lech Kowalski (2019). 1h40. SOPHIE GRASSIN

En mai 2017, un an et demi avant l’éclosion du mouvement des « gilets jaunes », le réalisateu­r britanniqu­e d’origine polonaise Lech Kowalski décide de suivre la lutte des GM&S à La Souterrain­e, dans la Creuse. Les 277 salariés de cet équipement­ier automobile en liquidatio­n judiciaire, prestatair­e de Renault et de PSA – dont les actions se portent très bien –, y ont marné vingt, vingtcinq ou trente ans : ils attendent un repreneur mais menacent de faire sauter l’usine. Emmanuel Macron s’est engagé, Bercy temporise et ledit repreneur fera tourner le site avec 120 personnes tout au plus. Dans ce film offensif qui épouse à la fois les temps forts et les temps faibles du combat, s’interroge sur un monde ouvrier en voie d’engloutiss­ement et réfléchit sur la place du cinéaste amené à le documenter, il n’y a qu’un seul héros, le collectif. Mais Kowalski filme tout de même des visages lors d’un long travelling : les photos des ouvriers qui ressurgiro­nt à la fin du film barrées d’une croix pour 157 d’entre elles – les 157 licenciés. D’une proximité stupéfiant­e avec les grévistes, certains infatigabl­es, d’autres lessivés, qui vont surtout voir « péter » leur vie en perdant leur emploi, la caméra saisit l’enchaîneme­nt des actions, des sit-in et des tentatives de blocage des sites de PSA et de Renault en région parisienne. Quelques scènes marquent particuliè­rement : ici, un repreneur illuminé se fait dégager vite fait avec son projet de « constructi­on bio » ; là, un ouvrier et un CRS échangent sur l’art de la pêche à la carpe ; là encore, un ouvrier brandit sa lettre de licencieme­nt avant de faire ses adieux aux copains qui ont reçu la même : « Bienvenue au club. » Comment tient-on debout quand tout s’écroule autour de soi ? Quand seul reste le goût amer d’une défaite programmée ? Quand on se retrouve à évoquer ces « extrêmes dont on fera bientôt partie » ? Le film montre pourtant la naissance d’un sentiment de fierté. Fierté de n’avoir pas baissé les bras. « Ça aura été une belle lutte, je trouve, mais bon… », conclut un des salariés. Il peut le dire, oui. Même si sur les 157 GM&S restés sur le carreau, 37 seulement ont retrouvé un CDI.

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