L'Obs

UNE HISTOIRE DE LA VIOLENCE

DETROIT

- Drame américain de Kathryn Bigelow (2017). Avec Anthony Mackie, John Boyega, Jacob Latimore. 2h23. FRANÇOIS FORESTIER

En 1967, alors que la guerre du Vietnam enflamme le paysage politique, la ville de Détroit est ravagée par une insurrecti­on des quartiers blacks : dans ce chaos, une poignée de jeunes Noirs, membres d’un groupe de doo-wop, se réfugie dans une chambre de l’Algiers Motel. Mais la police va s’en prendre à ces musiciens et, au petit matin, il y a trois morts… Kathryn Bigelow signe là son chef-d’oeuvre : il passe, dans ces images, une telle rage, une telle déterminat­ion, que le film se transforme en brûlot. En s’inspirant des événements réels du 23 juillet 1967 (sur un scénario de Mark Boal, qui collabore pour la troisième fois avec Bigelow), l’auteure de « Démineurs » et de « Zero Dark Thirty » touche à l’essentiel : ces policiers haineux, ces visages de flics grimaçants ne sont-ils pas animés par un racisme élémentair­e qui n’a pas changé ? D’où provient ce rejet absolu de l’Autre ? La réalisatri­ce jongle avec les formats, les documents d’époque, les reconstitu­tions, en scènes brèves. Au début, les cocktails Molotov et les pavés ; à la fin, les tanks et l’armée. Dehors, le feu ; dedans, la terreur. Car ce sont bien les flics qui torturent, violent et tuent. Un vigile noir, Melvin Dismukes (incarné par John Boyega) est témoin de la barbarie : impuissant, il tente en vain de ramener à la raison les assassins. Ce qui frappe, c’est l’extraordin­aire maîtrise de la réalisatio­n. Entre le huis clos étouffant des interrogat­oires dans le motel et les flambées de violence dans la rue, le film prend une ampleur extraordin­aire, dont nul spectateur ne sort intact. Film complexe, superbe saga morale : rien n’est gratuit, rien ne permet de se réfugier dans une zone de confort. On est jeté, avec force, dans un drame aux terribles échos. Comme dans « le Cuirassé Potemkine » ou « Z » (la comparaiso­n s’impose à ce niveau), le spectateur est contraint de regarder l’injustice, la sauvagerie, la décomposit­ion d’une société. Pour la première fois, Kathryn Bigelow aborde de front les résonances politiques de ces émeutes : inutile de dire qu’elles sont plus actuelles que jamais aux Etats-Unis. Un très grand film, nécessaire. Mieux : essentiel.

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