L'Obs

Bolaño le magicien

- PAR ROBERTO BOLAÑO, TRADUIT DE L’ESPAGNOL (CHILI) PAR ROBERT AMUTIO, L’OLIVIER, 1 168 P., 29 EUROS. DIDIER JACOB

Avec « 2666 » s’achève la parution aux Editions de l’Olivier des oeuvres complètes en six volumes de Roberto Bolaño, disparu en 2003 à l’âge de 50 ans. On ne sait si la fascinatio­n suscitée par l’auteur d’« Etoile distante » aurait atteint de tels sommets s’il avait fini par courir les remises de Nobel et les cours magistraux, les master class et les conférence­s. La vérité, c’est que rien n’existe, pour l’écrivain chilien, hors les livres. Bolaño n’était pas un écrivain expériment­al mais sa lecture tient de l’expériment­ation : c’est un voyage en terre étrange, qui ne figure sur aucune carte. On roule longtemps, on gare sa voiture, on coupe le contact. On est sur un parking désert. Des silhouette­s se tournent vers vous, ses personnage­s, et vous toisent d’un sale oeil. C’est le regard de l’amour et du crime. Pour eux aussi, il n’y a que les livres. Ils s’appellent Jean-Claude Pelletier, Manuel Espinoza, Liz Norton. Ils vont de colloques en conférence­s. Ils mènent la vie dont Bolaño n’aura jamais connu les misérables joies. Ils se disent spécialist­es d’un écrivain prussien dont la trace a été perdue : Benno von Archimbold­i. Ils courent les plus obscures librairies pour dénicher les oeuvres méconnues de cet écrivain mystérieux. « 2666 » raconte l’absence au monde de cet auteur secret qui fascine tout le monde. Les critiques s’entêtent. Ils veulent retrouver la trace d’Archimbold­i. Le ramener en Europe. Se persuader que son existence n’a pas été rêvée par un autre écrivain mystérieux, etc. Telle est l’histoire de ce roman fou, unique en son genre, nourri de l’imaginatio­n insatiable d’un écrivain qui aura tenté, jusqu’au bout, de vaincre la mort par le livre. Or c’est ce livre qui aura été fatal à l’écrivain chilien, lequel passa la fin de sa vie à Blanes, petite ville balnéaire de la Costa Brava, élevant ses deux enfants auxquels il a dédié son roman. Un livre effrayant, cannibale, où des prostituée­s sont tuées dans une bourgade mexicaine, Santa Teresa, la ville du sang, du martyre humain. Est-ce que la littératur­e meurt à la fin ? Peut-être, mais Archimbold­i sera sauvé. Sauvé de l’oubli par une poignée de spécialist­es passionnés de son oeuvre. Si vous ne craignez pas les chaleurs, le voyage vers Archimbold­i, dans le train bondé de Bolaño, en vaut la peine. La clim est en panne, mais Venise est au bout, et l’écrivain le plus secret du monde sourit quand la mort sonne à sa porte.

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