Pour Perros, c’est Noël
CORRESPONDANCES, PAR BERNARD NOËL ET GEORGES PERROS, PRÉFACE D’HERVÉ CARN, ÉDITIONS UNES, 120 P., 29 EUROS.
Les correspondances profuses de Georges Perros (photo à droite) avec Gérard et Anne Philipe, Jean Grenier, Michel Butor, Jean Paulhan et tant d’autres sont étincelantes d’intelligence, de vivacité, d’humour noir, mais elles sont d’abord des autoportraits sur le vif. Plus encore que dans ses trois volumes de « Papiers collés », c’est dans les lettres qu’il se confie et se dévoile. Qu’il donne des perspectives et un horizon à sa « vie ordinaire ». Que l’ensauvagé de Douarnenez cultive ses amitiés littéraires et donne de ses nouvelles, toujours râleuses, à SaintGermain-des-Prés.
Ses échanges avec Bernard Noël (photo à gauche) débutent en 1960. Les deux jeunes poètes ne se connaissent pas, mais se reconnaissent aussitôt. Noël, qui vient de publier son premier livre, « Extraits du corps », écrit à Perros après avoir lu les « Papiers collés ». Il en aime le refus de toute « tricherie ». Il cite, pour définir son auteur, le mot de Benjamin Constant à Mme de Récamier : « Je suis destiné à vous éclairer en me consumant. » Leur amitié épistolaire durera jusqu’au moment où l’auteur aphone de « l’Ardoise magique » succombera, en 1978, à un cancer du larynx.
Pendant toutes ces années, dans le miroir que lui tend fraternellement Bernard Noël, Georges Perros se ressemble. Il explique sa méthode d’écrivain-notulier : « J’agis comme un photographe qui jetterait tous les soirs sa pellicule maculée dans une caisse en se promettant de la développer plus tard. » Il prodigue des conseils à son cadet de sept ans : « Relis Artaud, du Bossuet retourné ! » La mer bretonne le rassure : « Je n’y vais pas, elle est là, très suffisant. » Il se refuse au monde : « Je tiens la solitude pour l’évidence, la nécessité, notre seule chance d’appréhension de ce qu’on cherche, quand on cherche. » Il entre dans la maladie en écoutant Haydn à la radio et lisant les lettres de Kleist. Et, quatre mois avant de mourir, alors qu’il souffre le martyre en stoïcien, il a l’esprit de s’inquiéter des « ennuis dorsaux » de son correspondant : « Rien de grave, j’espère, dites-moi. » Quelle grandeur.