L'Obs

Vivre l’esprit Léger

- JULIEN BORDIER

FERNAND LÉGER, LA VIE À BRAS-LE-CORPS. MUSÉE SOULAGES, RODEZ (AVEYRON). JUSQU’AU 6 NOVEMBRE. MUSÉE-SOULAGES-RODEZ.FR ET 05-65-73-82-60.

Fernand Léger chez Pierre Soulages ou l’irruption de la couleur dans le sanctuaire du maître de « l’outrenoir ». Difficile de trouver propositio­n artistique estivale plus contrastée. Toutefois, les deux hommes ont partagé la même galerie, celle de Louis Carré. Ils ont aussi travaillé ensemble, en juillet 1952, à un spectacle nocturne joué devant le château d’Amboise pour les cinq cents ans de la naissance de Léonard de Vinci. Le Ruthénois a toujours témoigné respect et admiration pour son aîné. Une oeuvre de Léger fait partie des rares peintures accrochées au domicile de Pierre Soulages, 102 ans. L’exposition « Fernand Léger, la vie à bras-le-corps », orchestrée à Rodez au Musée Soulages par les commissair­es Maurice Fréchuret et Benoît Decron, directeur des lieux, s’articule autour de trois thèmes traités par l’artiste : le monde du travail, la ville et les loisirs. Elle est une mini-rétrospect­ive, en 85 pièces du peintre, de la vie moderne.

Léger a toujours utilisé le décor du quotidien comme terrain de jeu de ses expériment­ations plastiques. Pour lui, le « beau est partout ». Léger synthétise la réalité en surfaces et volumes confinant à l’abstractio­n. Son « Mécanicien » moustachu de 1918 devient un homme machine aux muscles fuselés comme des canons. La Première Guerre mondiale à laquelle il a participé révèle à ce fils d’éleveur de boeufs la force visuelle de l’élément mécanique. Adhérent du Parti communiste français, Léger traite de l’homme au travail dans des dessins et des toiles d’une grande modernité, loin de l’esthétique réactionna­ire prônée en URSS. Affranchi des dogmes, le Français met ses sujets au service de la recherche formelle, explorant le cubisme et le surréalism­e, annonçant le pop art. En arrivant à Paris, le Normand est fasciné par le spectacle de la ville, les bombardeme­nts de signes et de couleurs. Il rend compte du mouvement urbain de la capitale puis de New York, où il s’exile en 1940, dans des compositio­ns dynamiques, caractéris­ées par l’architectu­re verticale.

Loin du tumulte des mégapoles, la vie déborde aussi dans ses tableaux consacrés à l’univers des loisirs et du repos (dont le chef-d’oeuvre reste « la Partie de campagne » de 1954 où le rouge, le bleu, le vert, le jaune s’étalent en larges bandes autonomes, photo). Son oeuvre accorde une place abondante aux cyclistes, un sujet qui n’a jamais été autant d’actualité. Dans une gouache, une jeune femme à bicyclette toise du regard le visiteur et lance sur un ton provocateu­r : « Je ne te demande pas si ta grand-mère fait du vélo. » Léger, ou l’art du franc-parler.

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