L'Obs

EN ROUGE ET NOIR

LES BAS FONDS

- FRANÇOIS FORESTIER

Drame français de Jean Renoir (1936). Avec Jean Gabin, Louis Jouvet, Suzy Prim. 1h29.

Mais quelle mouche a piqué Jean Renoir ? Adapter un classique de la littératur­e russe (la pièce de Gorki date de 1902) en s’appuyant sur une adaptation de Zamiatine, écrivain exilé en France sous la pression du Guépéou (la police politique jadis chantée par Aragon) ? Jean Gabin (photo) en voleur un peu moscovite, un peu parigot – nommé Pépel Wasska – habitant une pension minable peuplée de marginaux, pourquoi pas ? Cette histoire de voyou qui est surpris par un baron ruiné et fait équipe avec lui est un tantinet mélo, mais Renoir en tire le maximum. Nous sommes en 1936, le fond de l’air est rouge, et le cinéaste, alors, est proche des milieux de gauche. Il vient de tourner « le Crime de monsieur Lange », « Partie de campagne » et « La vie est à nous », trois oeuvres qui sentent le Front populaire. Visiblemen­t, ce qui intéresse Renoir, c’est le rapport entre exploitant­s et exploités, thème dominant de la pensée politique de l’époque, qu’on retrouvera dans « la Règle du jeu ». Film mineur dans la filmograph­ie de Renoir ? Incontesta­blement. Mais l’intérêt, c’est l’équipe. Les décors sont signés Eugène Lourié, génial collaborat­eur d’Abel Gance et de Duvivier ; la photo (très beaux noir et blanc) est due à Fédote Bourgasoff, qui a jadis travaillé avec Ivan Mosjoukine ; et la production a été dirigée par Alexandre Kamenka, patron de la société Albatros, qui rassemble alors tous les artistes émigrés russes. Le casting, lui, est bigarré : Louis Jouvet est superbe, Suzy Prim (photo) – la compagne de Jules Berry – est surprenant­e, Jany Holt – madame Dalio dans le civil – est notre préférée, et les seconds rôles sont des bijoux (Maurice Baquet en accordéoni­ste, Jacques Becker en passant, Robert Le Vigan en poivrot, Gabriello en inspecteur…). Pour la petite histoire, signalons que c’est ainsi que Becker a fait la connaissan­ce de Le Vigan : il lui confiera ensuite les rôles de « Dernier atout » et de « Goupi Mains rouges », puis aidera celui-ci, marqué par son attitude de collabo, à passer en Argentine (alors que les opinions politiques des deux hommes étaient totalement opposées). « Les Bas-fonds » connaîtron­t une autre adaptation en 1957, signée Kurosawa, nettement plus réussie.

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