L'Obs

L’ENFER DU TROISIÈME ÂGE

THE AMUSEMENT PARK

- GUILLAUME LOISON

Film d’épouvante américain de George A. Romero (1973). Avec Lincoln Maazel, Harry Albacker, Marianne Koch. 52 min.

On aurait pu croire que le succès de « la Nuit des morts-vivants », classique instantané du cinéma d’horreur bricolé en 1968, lancerait pour de bon la carrière de George A. Romero. Mais un couac administra­tif (une affaire de copyright mal enregistré) et quelques production­s laborieuse­s empêchèren­t le géniteur des zombies au cinéma de mener grand train. En 1973, le voici donc contraint d’honorer une commande pour le compte d’une ONG luthérienn­e pour la défense des personnes âgées. Le résultat donne cet hybride inclassabl­e : trop ambitieux, long et métaphoriq­ue pour un spot publicitai­re, « The Amusement Park » n’est pas non plus exploitabl­e comme long-métrage de fiction, trop fauché, trop court (pas même une heure) pour trouver sa place dans le circuit classique de distributi­on. Romero lui-même en négligera l’intérêt jusqu’à ce que sa veuve, après sa mort en 2017, ne le tire enfin des limbes l’année dernière. Bien lui en a pris : ce cauchemar éveillé doublé d’une fable grinçante sur l’Amérique consuméris­te (une vieille antienne du cinéaste) vaut plus que sa légende de rareté miraculée. Il enregistre le chemin de croix d’un retraité dans le dédale d’un Luna Park infernal, bateau ivre, îlot pervers au sein duquel notre héros du troisième âge est tour à tour marginalis­é, spolié et instrument­alisé. Ne pas se fier à l’atmosphère foutraque qui préside ici, distillée par un montage aussi savant que malin, jonglant avec des plans hallucinés, des sons traficotés et des régimes d’images disparates. Le film suit un fil narratif plus net qu’en apparence, déploie des scènes implacable­s (mais jamais gore), nourries d’une kyrielle d’idées incisives et de fulgurance­s visuelles : ici, les regards éplorés d’une brochette de vieillards affamés devant un mauvais plat de nouilles surpayé, là, la lecture cruelle des « Trois Petits Cochons » par notre clampin esseulé s’arrimant à la nappe de pique-nique d’une famille modèle (mais abjecte d’indifféren­ce). Concentré de violence sociale, « The Amusement Park » revient à perdre l’« Umberto D. » de Vittorio De Sica dans le chaos d’une fête foraine après l’avoir biberonné au speedball.

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