Rencontre du énième type
NOPE, PAR JORDAN PEELE. FILM DE SCIENCE-FICTION AMÉRICAIN. AVEC DANIEL KALUUYA, KEKE PALMER, STEVEN YEUN (2H15).
« Nope », comme « nan ». Titre énigmatique pour un film qui l’est plus encore après visionnage et entérine la pente exagérément conceptuelle empruntée par son auteur. Il y a cinq ans, Jordan Peele déboulait en trombe dans les salles. Auteur et humoriste pour la télé, il écrivait et réalisait « Get Out », bombe de thriller satirique sur le racisme post-Obama et triomphe au box-office qui lui ouvrait grand les portes de Hollywood. En parallèle d’une riche activité de producteur (« Candyman », la série « The Last O.G. »), il creuse aussi en tant que cinéaste un sillon où se mêlent postulats horrifico-métaphysiques à « la Quatrième Dimension », univers original truffé de références pop-culturelles et réappropriation d’une histoire afro-américaine passée sous silence. Ainsi, une des premières scènes de « Nope » rappelle un fait occulté : le premier cavalier américain apparu dans une image en mouvement, en 1878 sur une chronophotographie d’Eadweard Muybridge, était un Noir. Un cow-boy black, oui! O.J. Haywood (Daniel Kaluuya, photo, révélé dans « Get Out »), le protagoniste fictif de « Nope », est un de ses descendants. Dresseur de chevaux pour le cinéma, il tente de maintenir à flot le ranch familial perdu dans la Santa Clarita Valley, à proximité d’un parc d’attractions western tenu par un ex-enfant acteur. Fraîchement endeuillé, O.J. est rejoint par sa soeur, une actricechanteuse aussi délurée que lui est taiseux, et n’a qu’une idée en tête : immortaliser sur pellicule l’ovni qui a tué son père et rôde dans le ciel. Showbiz exploiteur des minorités, white washing culturel, animaux-stars au destin tragique, menace extraterrestre : Jordan Peele multiplie les pistes. Il additionne les signes et images symboliques (quid de ce vaisseau alien dont la forme oscille entre la soucoupe volante, la méduse, le rideau de douche et le tube digestif ?), jongle entre le littéral et l’allégorique et se regarde faire plus qu’il ne raconte quelque chose. Les ingrédients sont là, l’ambiance et la mise en scène aussi, mais le spectacle est à la peine, émotionnellement handicapé par son ambition absconse. OEuvre à clés ou cinéma concept-store ? Novateur ou prétentieux ? Entre du Tarantino, sans l’écriture jubilatoire, et du Shyamalan, sans l’inspiration mystique, « Nope » intrigue à défaut d’emporter.