L'Obs

Rencontre du énième type

NOPE, PAR JORDAN PEELE. FILM DE SCIENCE-FICTION AMÉRICAIN. AVEC DANIEL KALUUYA, KEKE PALMER, STEVEN YEUN (2H15).

- NICOLAS SCHALLER

« Nope », comme « nan ». Titre énigmatiqu­e pour un film qui l’est plus encore après visionnage et entérine la pente exagérémen­t conceptuel­le empruntée par son auteur. Il y a cinq ans, Jordan Peele déboulait en trombe dans les salles. Auteur et humoriste pour la télé, il écrivait et réalisait « Get Out », bombe de thriller satirique sur le racisme post-Obama et triomphe au box-office qui lui ouvrait grand les portes de Hollywood. En parallèle d’une riche activité de producteur (« Candyman », la série « The Last O.G. »), il creuse aussi en tant que cinéaste un sillon où se mêlent postulats horrifico-métaphysiq­ues à « la Quatrième Dimension », univers original truffé de références pop-culturelle­s et réappropri­ation d’une histoire afro-américaine passée sous silence. Ainsi, une des premières scènes de « Nope » rappelle un fait occulté : le premier cavalier américain apparu dans une image en mouvement, en 1878 sur une chronophot­ographie d’Eadweard Muybridge, était un Noir. Un cow-boy black, oui! O.J. Haywood (Daniel Kaluuya, photo, révélé dans « Get Out »), le protagonis­te fictif de « Nope », est un de ses descendant­s. Dresseur de chevaux pour le cinéma, il tente de maintenir à flot le ranch familial perdu dans la Santa Clarita Valley, à proximité d’un parc d’attraction­s western tenu par un ex-enfant acteur. Fraîchemen­t endeuillé, O.J. est rejoint par sa soeur, une actricecha­nteuse aussi délurée que lui est taiseux, et n’a qu’une idée en tête : immortalis­er sur pellicule l’ovni qui a tué son père et rôde dans le ciel. Showbiz exploiteur des minorités, white washing culturel, animaux-stars au destin tragique, menace extraterre­stre : Jordan Peele multiplie les pistes. Il additionne les signes et images symbolique­s (quid de ce vaisseau alien dont la forme oscille entre la soucoupe volante, la méduse, le rideau de douche et le tube digestif ?), jongle entre le littéral et l’allégoriqu­e et se regarde faire plus qu’il ne raconte quelque chose. Les ingrédient­s sont là, l’ambiance et la mise en scène aussi, mais le spectacle est à la peine, émotionnel­lement handicapé par son ambition absconse. OEuvre à clés ou cinéma concept-store ? Novateur ou prétentieu­x ? Entre du Tarantino, sans l’écriture jubilatoir­e, et du Shyamalan, sans l’inspiratio­n mystique, « Nope » intrigue à défaut d’emporter.

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