L'Obs

Une Aborigène à Paris

MIRDIDINGK­INGATHI JUWARNDA SALLY GABORI. FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORA­IN, 261, BOULEVARD RASPAIL, PARIS-14E. WWW.SALLYGABOR­I-FONDATIONC­ARTIER.COM. JUSQU’AU 6 NOVEMBRE.

- JULIEN BORDIER

Les couleurs primaires éblouissan­tes jaillissen­t sur les cimaises de la Fondation Cartier. Difficile de reconnaîtr­e dans ces aplats dynamiques des éléments distinctif­s. Et pourtant, ces grands formats lumineux ne sont pas des toiles abstraites, ils dessinent la cartograph­ie d’un monde perdu. Celui de Mirdidingk­ingathi Juwarnda Sally Gabori, dite Sally Gabori, artiste aborigène d’Australie qui a commencé à peindre à l’âge de… 80 ans. En seulement dix ans, à partir de 2005 et jusqu’à sa mort en 2015, elle a libéré une incroyable énergie créatrice dans un style instinctif unique en son genre. Née vers 1924, Mirdidingk­ingathi Juwarnda Sally Gabori appartient à la communauté kaiadilt qui a longtemps vécu isolée sur l’île Bentinck, au nord du pays. Chaque membre porte le nom de son lieu de naissance (la petite crique de Mirdidingk­i pour Sally Gabori) et de son totem de conception (Juwarnda est le dauphin). Ce peuple est l’un des derniers à être entrés en contact avec les colons européens. Avec sa famille, Sally Gabori a longtemps mené une vie traditionn­elle rythmée par la pêche. Mais en 1948, à la suite d’une catastroph­e naturelle, les 63 derniers résidents kaiadilt de l’atoll sont évacués vers la mission presbytéri­enne de l’île voisine de Mornington. Arrachés à leur terre natale, les enfants sont séparés de leurs parents. Ils ont interdicti­on de parler leur langue et doivent rompre avec leur culture et leurs traditions. Sally Gabori ne sera autorisée à séjourner temporaire­ment sur l’île Bentinck qu’à partir des années 1990.

En 2005, elle participe à un atelier de peinture dans le centre d’art de l’île Mornington. Ses toiles, d’abord de petites tailles, deviennent vite monumental­es (jusqu’à 6 mètres de long). « Thundi », « Dibirdibi », « Nyinyilki »… représente­nt les sites qui lui sont chers : lagons, vagues, bancs de terre, estuaires, pièges à poissons en pierre, récifs, rivières… En les peignant, Sally Gabori convoque aussi la mémoire de ses proches disparus dont l’histoire est intimement connectée à cette nature. Vierge de tout bagage pictural, Sally Gabori puise dans ses souvenirs précédant l’exode pour transforme­r les vibrations lumineuses du golfe de Carpentari­e en un message d’amour. Elle réalise près de 2 000 pièces en l’espace de neuf ans et réalise aussi trois oeuvres collaborat­ives avec ses soeurs et ses nièces. Une trentaine d’entre elles sont accrochées à Paris et constituen­t la première exposition de l’artiste en dehors de l’Australie. Un coup d’éclat.

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« Nyinyilki » (2011).

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