Esthétique de la parole
Durant l’été, “TéléObs” passe au crible les grands motifs et les petits détails qui fondent l’identité visuelle d’une série majeure, actuelle ou passée. Cette semaine : “En thérapie”, voyage autour du divan le plus célèbre de France, disponible sur Arte.t
La ritournelle
Si le cabinet du psychanalyste est le lieu du ressassement et du dénouement par excellence, il fallait, pour inciter le spectateur à pénétrer plus de 30 fois par saison dans celui du Dr Dayan (Frédéric Pierrot, photo), une invitation sonore engageante. C’est particulièrement réussi avec la musique composée par Yuksek, producteur électro français, qui joue pendant quelques minutes avec la répétition d’un motif entêtant au piano, seul ou sur des nappes électroniques. Les notes du clavier, très espacées, sonnent légèrement désaccordées, comme les paroles des patients qui n’ont pas encore été aiguillés par Dayan. Quand elle n’accompagne pas les images vintage du générique, cette ritournelle revient par petites touches habiller les séances.
La salle d’attente
La première rencontre entre le Dr Dayan et sa nouvelle superviseuse Claire (magistralement interprétée par Charlotte Gainsbourg dans la saison 2) commence mal : « Dites donc, c’est un peu la cour des miracles, votre salle d’attente… – Pourtant, on ne fait pas de miracles, vous le savez. » Dans la série, les moments passés dans l’antichambre du cabinet des deux thérapeutes, avant et après les consultations, comptent double. C’est Léonora (Clémence Poésy) qui dépose son fils Robin (Aliocha Delmotte) en espérant ne pas croiser le père avec qui elle est en conflit, c’est Adel (Reda Kateb) qui tapote nerveusement son gobelet de café, signe que le flic de la BRI est fébrile, ou le Dr Dayan lui-même observant un bébé que les parents ont posé par terre pendant une séance (photo). Sur son visage, on croit lire le temps où il était un papa gâteau et non un daron que ses adolescents agacent.
Le cabinet
Loin de l’aspect clinique et zen de certains cabinets de psy renvoyant les patients à eux-mêmes, la pièce où travaille le Dr Dayan, à Paris, puis dans son pavillon de banlieue, permet à ses visiteurs d’accrocher le regard. Certains ne peuvent s’empêcher d’y farfouiller. Aussi exaspérante que touchante, Lydia (Suzanne Lindon, photo) scrute chaque parcelle du sanctuaire, lançant un très révélateur : « Alors, c’est ça ma place… » La caméra comme le regard des patients s’attardent parfois sur les bibelots et les livres. Dans ce lieu où chacun doit déballer son sac, une petite malle au trésor contient des jouets ou objets transactionnels qu’apportent enfants et ados comme Robin, invités à confier un peu de leur univers. Filmé au plus près, le territoire du cabinet semble se creuser et s’élargir à mesure que la parole se libère.
L’assise
A chaque nouveau patient, on observe le même manège. Les uns s’assoient directement sur le divan rouge, les autres tournent autour, certains y posent à peine une fesse, d’autres s’affalent confortablement. Ariane (Mélanie Thierry, photo) est la seule à s’allonger et d’ailleurs elle finira par partager le lit du psy. Mal à l’aise, Robin, le gamin de la saison 2, mesure la distance entre le canapé et le fauteuil du psy pour mieux se protéger du Covid, dit-il, mais surtout de la parole qu’il lui faut donner. Pour Alain (Jacques Weber, photo ci-dessous), le chef d’entreprise, c’est l’inverse, il déboule comme un taureau dans l’arène, impose sa présence et ses certitudes, mais, une fois assis, son costume le gêne, il se dandine. Il a mal à son travail et voudrait jeter l’éponge.
La joute
Malgré l’ambiance ouatée de la série, on assiste bien ici à une séance de bras de fer. Ou plutôt à une compétition de judo filmée au ralenti au cours de laquelle le psy va effectuer une prise qui, lentement, très lentement, neutralise les défenses du patient, ce dernier finissant libéré de lui-même, sur le tatami. Plus les dialogues se tendent, plus la caméra s’approche des visages. Celui d’Ariane, éprise, voire obsédée par Dayan, celui du flic Adel expliquant que le psy vit dans une bulle hors de la violence du monde, celui de l’avocate Inès qui tient le thérapeute responsable de son choix d’avorter…
Master class
70 épisodes filmés en huis clos composent une véritable leçon sur l’art de mettre le dialogue en images. En saison 2, Arnaud Desplechin saisit le mal-être de Lydia-Suzanne Lindon (photo) par petites touches au gré de ses rebuffades puis de son acceptation de la maladie, tandis qu’Emmanuel Finkiel enregistre avec une délicatesse infinie une double révélation, les traumas que Dayan confie à sa superviseuse et le charme opérant entre ces deux individus abîmés par la vie. Parmi ces tours de force, on retient l’approche d’Emmanuelle Bercot, qui, en lieu et place du traditionnel champ-contrechamp, fait circuler plus librement sa caméra autour d’Alain, patient pachydermique dans un magasin de porcelaine dont la psyché se révèle in fine plus fragile que le cristal.
Le stylisme
Si les patients viennent déshabiller leur âme dans le cabinet du Dr Dayan, il suffit souvent d’observer leur tenue pour savoir de quoi il retourne. Dans la saison 1, Ariane porte des bottes de cuir à talons peut-être pour mieux en remontrer aux hommes, Adel arbore un blouson de flic de terrain montrant qu’il est toujours prêt à partir en opération. Le psy se glisse, lui, dans des tenues passe-partout, comme pour mieux se fondre dans le décor et observer ses patients sans les distraire. Dans la saison 2, le chic d’Inès (Eye Haïdara, photo), l’avocate, perd de sa superbe au fil des épisodes tandis que la superviseuse Claire conserve son élégance des beaux quartiers en toutes circonstances.
L’extérieur
A chaque saison son fil historique. Des sirènes de voitures, échos des attentats de 2015 (saison 1), au gazouillis des oiseaux évoquant la mise au vert de Dayan en banlieue durant la crise du Covid (saison 2), on entend bruisser l’humeur du monde au hasard d’une fenêtre ouverte ou d’une pause-café. La deuxième saison s’achève quand Claire (Charlotte Gainsbourg, photo) interrompt sa séance de supervision avec Dayan pour écouter avec lui le trompettiste qui joue en bas de chez elle tous les vendredis. Le monde extérieur reprend ses droits…
A suivre : « Deux flics à Miami ».