ALERTE ROSE
“EMMANUELLE”, LA PLUS LONGUE CARESSE DU CINÉMA FRANÇAIS
Documentaire de Clélia Cohen (2020). 52 min.
Comment ce nanar érotique habilement marketé, financé pour une poignée de figues durant l’année 1973, a-t-il accompagné la révolution sexuelle que le fin fond de la France pompidolienne se désespérait de voir venir ? Clélia Cohen convoque les survivants de cette juteuse affaire devenue, aux yeux du monde, un summum de chic tricolore. En premier lieu, son producteur Yves Rousset-Rouard – tonton de Christian Clavier –, catalyseur du phénomène « Emmanuelle » : il enchaînera sur « les Bronzés » et deviendra, en 1993, député UDF du Vaucluse. C’est, dit-il, la formule choc et gagnante du « Dernier Tango à Paris », sorti en 1972, qu’il a essayé de reproduire à peu de frais. En lieu et place de Bertolucci, il embauche un photographe de mode, Just Jaeckin, à la mise en scène. Qui flashe sur une ravissante Hollandaise pour tenir le rôle-titre – la légende raconte que, s’étant trompée de casting, Sylvia Kristel (photo) avait frappé à la mauvaise porte. Un tournage clandestin en Thaïlande plus tard (où la petite équipe fait croire aux autorités locales qu’elle met en boîte un documentaire), l’érotisme soft d’« Emmanuelle », petit conte sadien pour les nuls, tourneboule la France et le monde. Outre deux suites, la franchise est inlassablement pompée pour les besoins de contrefaçons exotiques. Ses codes esthétiques deviennent l’alpha et l’oméga de la sensualité durant trois décennies, et participent à l’expansion des magasins Pier Import qui vendent des fauteuils en rotin au kilomètre. Sylvia Kristel connaît un destin moins riant : prisonnière de cette image de reine frissonnante, elle finit ses jours seule et ruinée en 2012. C’est d’autant plus injuste que son magnétisme languide demeure pourtant la seule force vive du film à résister au temps. Car d’érotisme à la papa, raillé depuis des lustres par les féministes, en clichés racistes décomplexés (que Clélia Cohen, hélas, ne pointe pas ici), il est clair qu’aujourd’hui tout pique les yeux dans « Emmanuelle ».