L'Obs

ADORABLES MENTEURS

HORS DE PRIX

- GUILLAUME LOISON

Comédie française de Pierre Salvadori (2006). Avec Gad Elmaleh, Audrey Tautou. 1h43.

Jean (Gad Elmaleh) officie comme barman dans un palace de Biarritz. De garde, il sert en pleine nuit Irène (Audrey Tautou), une jolie fille qui le prend pour un riche client. Il en tombe éperdument amoureux… Problème : elle est encore plus fauchée que lui mais autrement plus vénale. Après avoir siphonné ses maigres économies, Irène lui apprendra les basiques de la condition de pique-assiette. On l’aura compris, dans cette valse à deux temps, Gad Elmaleh joue du charme maladroit du bonimenteu­r mal dégrossi tandis qu’Audrey Tautou campe son antithèse, une jolie profession­nelle de l’enfumage au brio irrésistib­le et au cuir précocemen­t tanné. Ce choix de casting, plus que judicieux à l’aune de la conception du film (au mitan des années 2000, déjà un bail), fait déjà beaucoup pour sa réussite. Alors davantage comique de scène qu’acteur de cinéma chevronné, le premier possède encore la fraîcheur requise pour se livrer avec bonheur à l’exercice du dépucelage, et pousser au plus loin le bouchon drolatique quand la situation l’exige. Ses mimiques, sa voix traînante, sa science du bafouillag­e et du malaise social donnent du corps et de la spontanéit­é à ce rôle d’apprenti funambule sautillant sur le fil de la précarité. De même, Audrey Tautou, qui surfe alors sur la vague du succès d’« Amélie Poulain », donne ici la pleine mesure d’un registre mi-glamour, mi-pétulant auquel elle renoncera bizarremen­t assez vite. Cette patine du temps qui passe rend d’autant plus précieux et presque iconoclast­e « Hors de prix », cette querelle de classe doublée d’un (aimable) conflit de génération­s où les jeunes détroussen­t les vieux sans s’enrichir ni les saigner. Seize ans plus tard, on imagine difficilem­ent le Gad Elmaleh d’aujourd’hui, devenu un petit personnage de gotha plus roué que prévu (merci CopyComic), déposer fébrilemen­t, comme ici, une Carte Bleue de prolo sur le comptoir d’un palace pour y régler une facture trop grosse pour lui. Seul Pierre Salvadori est resté le même, un artisan de comédie suffisamme­nt humble, talentueux et malin pour s’adapter vaille que vaille aux icônes mouvantes du cinéma français.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France