L'Obs

MARSEILLE, ANNÉE ZÉRO

SHÉHÉRAZAD­E

- NICOLAS SCHALLER

Drame de Jean-Bernard Marlin (2018). Avec Kenza Fortas, Dylan Robert. 1h49.

Marseille. Zachary, 17 ans, sort d’un séjour à la prison pour mineurs. Sa mère refuse de l’héberger. Le foyer ? Pas question. Il retrouve la rue, sa bande, où il n’est plus le bienvenu pour dealer, et rencontre Shéhérazad­e. Enfant des rues elle aussi, Shéhérazad­e (Kenza Fortas, photo) se prostitue. Zach en tombe amoureux, mais ne le dit pas. Dans son monde, « on respecte les filles mais pas les putes ». Alors Zach devient son mac. L’argument n’est pas neuf, le film, à fleur de peau et de bitume, nous convaincra­it presque du contraire. Comme la plupart de ses partenaire­s, Dylan Robert (photo)– Zach –, un minot de la Belle de Mai, a vécu de près ou de loin ce qu’il joue dans la fiction, tournée à l’arrache dans les quartiers Nord de la cité phocéenne – incarcéré depuis le 5 janvier dernier, il purge actuelleme­nt une peine de prison pour vol avec violence. Jean-Bernard Marlin connaît bien ces délinquant­s juvéniles. Il a grandi à Marseille, signé un documentai­re et un court-métrage (« la Fugue », ours d’or à Berlin en 2013) sur les foyers éducatifs. S’il n’édulcore rien de leur quotidien sordide, il ne se complaît pas dans un faux naturalism­e d’auteur ni ne se cantonne aux clichés du cinéma gangsta. La beauté de « Shéhérazad­e », son humble prouesse, est de raconter cette jeunesse telle qu’elle est et d’en tirer des figures de tragédie (amants maudits, mère toxique, faux frère). Pas de surplomb sociologis­ant, juste un générique à la « Scarface » sur des images d’archives de l’immigratio­n maghrébine qui ancre l’histoire dans celle de la ville. Pas de tchatche flamboyant­e mais une gouaille pauvre, agressive, signe de reconnaiss­ance d’un milieu de petits machos que Zach voit de plus en plus comme un obstacle à l’expression de ses sentiments. Pas d’angélisme mais la candeur d’un couple d’enfants perdus : quand elle ne vend pas ses charmes pour 30 euros, Shéhérazad­e suce son pouce. Révélé à la Semaine de la Critique à Cannes et prix Jean-Vigo de la première oeuvre en 2018, « Shéhérazad­e » est un film brûlant sur un petit miracle : l’éclosion d’un amour là où il n’y en a plus trace.

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