L'Obs

AU ROYAUME DE LA DÉBROUILLE

SOUDAN DU SUD, LES NAUFRAGÉS DU NIL BLANC

- NEBIA BENDJEBBOU­R

Les Routes de l’impossible. Documentai­re de Guillaume Lhotellier et Antoine Boddaert (2022). 50 min.

En janvier 2011, le Soudan du Sud devenait indépendan­t. En onze ans d’existence, le plus jeune Etat au monde et l’un des plus pauvres n’a pas été épargné par les catastroph­es : sécheresse, invasions de criquets et, depuis 2019, crues gigantesqu­es du Nil et de ses affluents. Les inondation­s ont transformé les routes en rivières, balayé des maisons, rayé des cartes des milliers de villages, faisant fuir les habitants vers les hautes terres – plus de 700 000 personnes ont déjà quitté la zone. Jacob embarque une cinquantai­ne de personnes de Panyagor vers la capitale Djouba à bord de son bateau chargé à bloc. Dans ce long et périlleux voyage de 300 kilomètres, qui durera quarante-huit heures, les voyageurs emportent toutes leurs richesses – meubles, animaux… Ils sont mis à contributi­on pour pousser l’embarcatio­n qui doit se faufiler entre les maisons dont on n’aperçoit que les toits, dégager le chemin encombré d’herbes hautes et de branchages. Ils doivent aussi faire face aux attaques de tribus qui, de leur côté, ont tout perdu. Sur la terre ferme, les pistes sont défoncées et impraticab­les pendant la saison des pluies. C’est la pire crainte de Mohamed, dont les deux camions sont mis à rude épreuve. L’ancien commerçant devenu transporte­ur se rend à 50 kilomètres de chez lui pour charger une cargaison de bois – il mettra six jours pour faire l’aller-retour… Pour autant, la crue fait aussi des chanceux. Comme ces pêcheurs reconverti­s qui profitent de l’attractivi­té de la perche du Nil, surnommée « le roi des poissons africains » et revendue le double de son prix sur les marchés ou aux pays frontalier­s, le Congo et l’Ouganda. Et ne décourage pas quantité de tribus décidées à rester coûte que coûte sur leurs terres. Chaque jour, les Akwak renforcent leur îlot avec les moyens du bord : de la boue ramassée au fond du fleuve et de l’herbe qu’ils font sécher. Le peuple Mundari, établi sur les rives du Nil Blanc, parcourt la savane à la recherche d’herbes fraîches pour son immense troupeau de vaches qu’il défend armé de kalachniko­vs. Energie, solidarité et, surtout, débrouille phénoménal­e : tel est le visage des Soudanais décrits ici avec justesse et émotion.

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