Amours et fin du monde
Jeune star des lettres irlandaise, Sally Rooney sonde les intermittences du coeur de quatre trentenaires. Un roman rohmérien
Jeunes gens hypersensibles, amours compliquées et lutte des classes. En mettant au goût du jour ces ingrédients ancestraux de la littérature à coups d’échanges WhatsApp et de bisexualité, l’Irlandaise Sally Rooney, tout juste trentenaire, s’est hissée à la hauteur de ses modèles. En deux romans, son nom est devenu presque aussi célèbre que ceux de George Eliot ou Jane Austen, auxquelles elle est souvent comparée. Mais c’est Natalia Ginzburg qu’elle cite en épigraphe de son nouveau livre. Rooney partage avec l’écrivaine italienne un style à la fois précis et laconique, et une vision marxiste des rapports humains. Dans un couple, comme dans la société, il y a des dominants et des dominés. Dans « Où es-tu, monde admirable ? », Alice semble appartenir au premier groupe. Romancière angoissée par sa fulgurante célébrité, elle s’est retirée dans un presbytère, au
bord de la mer. Elle rencontre Felix, employé dans un entrepôt qui aime autant les hommes que les femmes. Eileen, la meilleure amie d’Alice, travaille pour une revue littéraire à Dublin. Depuis son enfance, elle est amoureuse de Simon, dont le seul défaut, à ses yeux, est de croire en Dieu. Dialogues aiguisés, scènes de sexe électrisantes… Sally Rooney sonde avec une méticulosité rohmérienne les intermittences du coeur de ses personnages, tout en questionnant l’insoutenable légèreté des jeux de l’amour et du hasard dans un monde qui court à sa perte. « Je reconnais que ça paraît vulgaire, décadent, voire intrinsèquement violent, d’investir de l’énergie dans les futilités du sexe et de l’amitié alors que la civilisation menace de s’effondrer », écrit Eileen à Alice. Sally Rooney redonne toute leur urgente beauté à ces « futilités ».