L'Obs

LE SCHIZO AUX YEUX CLAIRS

MEL GIBSON, À LA FOLIE, PASSIONNÉM­ENT…

- GUILLAUME LOISON

Documentai­re de Bruno Sevaistre (2022). 53 min.

Percer le mystère de la folie qui submerge parfois Mel Gibson, ce mythe de cinéma doublé d’un polémiste pathétique et ravageur, telle est l’ambition de ce portrait comme Arte aime en produire au kilomètre. Après Jack Nicholson, Warren Beatty, Tom Cruise ou Jodie Foster, on rappelle la formule, déclinée ici proprement, qui sied à ces petits concentrés biographiq­ues mêlant analyses filmiques, archives télé, photos de famille et quelques scènes de fiction révélatric­es de l’authentiqu­e tourment de celui qui les interprète. S’agissant du bon client Gibson, dont la dinguerie est perceptibl­e dès la bien nommée trilogie « Mad Max » (photo), hit qui l’imposa aux yeux du monde, la démarche apparaît ici presque trop prévisible pour donner au spectateur son lot de révélation­s. Parce que si l’acteur-réalisateu­r est un homme ô combien complexe, tiraillé entre une foi rigoriste et une tendance à l’excès (surtout l’alcool), sa carrière, imperméabl­e à la confidenti­alité, a la particular­ité de s’exposer presque toujours à la lumière vive de production­s gigantesqu­es : de « l’Arme fatale » à « Braveheart » en passant par « Apocalypto » ou, plus près de nous, « Tu ne tueras point », ses films les plus intimes sont aussi ses plus commerciau­x. Au moins Bruno Sevaistre a-t-il le mérite de distiller une myriade de détails qui instruisen­t et nuancent le parcours du personnage. Notamment les premières fondations d’un conflit intérieur qui ne cessera d’enfler dans l’inconscien­t du petit Mel : né en Amérique, il a émigré en Australie lorsqu’il avait 12 ans parce que son père, opposé à la guerre du Vietnam, entendait repousser pour son fils aîné Kevin le spectre d’un appel sous les drapeaux. Certes pacifiste, mais strict, autoritair­e et ultra-catho à tendance paranoïaqu­e, ce paternel encombrant, sédévacant­iste déclaré (il est convaincu que le Vatican est noyauté par les francs-maçons et les juifs), lui transmet ce bagage spirituel nauséeux dont ses films se font plus ou moins l’écho. Surtout « la Passion du Christ », nanar infâme au succès juteux sorti en 2004, au moment où l’antisémiti­sme reprenait du galon un peu partout sur la planète. L’année où le grain autrefois fédérateur de « Mad Mel » divisera le monde à jamais.

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