UN HÉROS ORDINAIRE
JÁN KUCIAK ENQUÊTE SUR UN DOUBLE ASSASSINAT
Documentaire de Matt Sarnecki (2022). 1h30.
Il fait nuit, un couple sort d’un supermarché. Les jeunes gens se parlent et rejoignent leur voiture en poussant un Caddie. Mais pourquoi sont-ils filmés à ce moment si anodin de leur vie quotidienne ? De cette scène banale, on ne saisit vraiment le sens qu’au fur et à mesure que se déroule le récit du réalisateur. Le 26 février 2018, Ján Kuciak, journaliste d’investigation slovaque, et sa compagne Martina Kusnírová ont été retrouvés assassinés par balles dans la petite maison qu’ils rénovaient à 65 km de Bratislava. « Ils allaient se marier en mai, raconte le père du jeune homme, on était déjà bien avancés dans les préparatifs, mais au lieu d’un mariage il y a eu un enterrement. » Ces images de filature sont extraites de l’imposant dossier d’enquête (70 téraoctets de données sensibles) de la police slovaque mis à disposition des collègues de Ján Kuciak par un informateur. Après l’avoir analysé dans le plus grand secret, les journalistes issus de divers médias du pays, décidés à ne rien lâcher, s’en sont ouverts à Matt Sarnecki. Spécialiste des sujets liés au crime organisé, il en a fait un documentaire saisissant. Un moyen aussi, comme l’explique Pavla Holcová, collègue du journaliste assassiné, de protéger les preuves au cas où des membres du gouvernement impliqués reviendraient au pouvoir. Ján Kuciak n’avait pas 30 ans mais, déjà, une solide réputation d’homme à abattre pour les mafieux en col blanc infiltrés à tous les niveaux de la société. Selon le site Aktuality.sk, il enquêtait sur des affaires de fraude fiscale concernant des oligarques influents qui allaient mettre au jour une infiltration par la Mafia calabraise. Parmi eux, Marian Kocner, l’homme d’affaires accusé d’avoir commandité le crime, acquitté en première instance lors du procès. Ce double meurtre avait secoué l’opinion publique de ce pays d’Europe centrale, entraîné des manifestations gigantesques et la démission du gouvernement de Robert Fico. Mais trois ans après les faits, les intervenants de ce documentaire édifiant – qui rappelle au passage l’indispensable travail des journalistes –demeurent réservés quant à la tournure qu’ont prise les choses au niveau politique dans ce pays entré dans l’Union européenne en 2004.