L'Obs

SCÉNAR BONARD

LA FÊTE À HENRIETTE

- FRANÇOIS FORESTIER

Comédie française de Julien Duvivier (1952). Avec Dany Robin, Michel Auclair, Michel Roux. 1h43.

Ils ont fumé quoi, les scénariste­s ? De la salseparei­lle ariégeoise ? Du plant de tomate hydroponiq­ue ? Toujours est-il qu’ils nous offrent le film le plus gai, le plus délicieuse­ment nostalgiqu­e, le plus charmant du cinéma français des années 1950. Il y a là-dedans un Paris comme on l’aime – bals populaires, bistrots bruyants, rues pavées, tractions avant – et des personnage­s sortis de la plume d’un musardier. Tout commence par le dialogue de deux scénariste­s en panne d’inspiratio­n. L’un, Henri Crémieux, ronchon et cynique, propose un polar avec une strip-teaseuse et un évêque (interdit par la censure). L’autre, Louis Seigner, onctueux et posé, suggère de suivre le 14-Juillet d’une cousette nommée Henriette (Dany Robin, photo). Ils feuillette­nt les journaux. Crémieux, dégoûté : « La vie est plus vide que la tête d’un adjudant-chef. Il ne s’y passe rien. Il faut tout inventer. » A chaque fois que les deux zozos démarrent un bout de scénario et le dictent à la secrétaire placide (Micheline Francey, future madame Maigret), celui-ci se matérialis­e à l’écran, en film dans le film. Peu à peu, la charmante Henriette, fille d’un garde républicai­n et fiancée à un photograph­e de presse (Michel Roux, photo), échappe aux deux gratte-papier et prend vie. Elle se met à fréquenter un titi voyou (Michel Auclair), une écuyère sexy (Hildegard Knef) et de flamboyant­s cabots (Julien Carette, Saturnin Fabre, des « gueules » du cinéma d’alors qui en font des kilos avec bonheur). On aperçoit le Gaumont-Palace, au pied de Montmartre, et un gars qui joue le Destin (Paul OEttly, l’oncle par alliance de Camus). Nous voici quelque part entre la poésie allègre de Sempé et l’atmosphère caboulot de Willy Ronis, dans cette aventure légèrement surréalist­e signée – qui d’autre ? – Henri Jeanson, l’homme qui a fait dire à Arletty : « Mon coeur est français mais mon cul est internatio­nal. » Mis en scène comme un puzzle amusant par Duvivier, le film est unique. En 1964, les Américains ont fait un remake (« Deux têtes folles »), mais le résultat a été digne d’un adjudant-chef. Du cinéma comme ça, léger comme une barbe à papa de fête foraine, on a perdu la recette.

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