L'Obs

L’autre pandémie

- Par CLÉMENT LACOMBE Directeur adjoint de la rédaction C. L.

Le Covid et ses confinemen­ts successifs ont amplifié de façon considérab­le un phénomène latent : la nette dégradatio­n de la santé mentale des adolescent­s ces dernières années. Un état de délabremen­t qui transparaî­t aussi bien dans les données compilées par Santé publique France, chargée d’assurer la veille épidémiolo­gique, que dans les témoignage­s de quantité de profession­nels, qui racontent des services de pédopsychi­atrie complèteme­nt débordés par l’afflux de jeunes gens. Un problème majeur de santé publique, qui se nourrit aussi bien du repli sur soi imposé par la pandémie que de la fragilisat­ion des rapports intrafamil­iaux, de la surexposit­ion sur les réseaux dits sociaux que de la peur d’un avenir forcément dégradé.

C’est un aspect méconnu de ce « grand mal-être » que « l’Obs » a choisi de porter à sa une cette semaine : l’anxiété scolaire, qui touche un nombre croissant de lycéens et de collégiens. Pour ces jeunes gens, la peur de la mauvaise note, la crainte de ne pas suivre le rythme imposé, de ne pas décrocher l’orientatio­n rêvée ou l’établissem­ent fantasmé peuvent se transforme­r en stress, en anxiété, voire en phobie. Notre enquête révèle comment les pensées suicidaire­s progressen­t chez les élèves (souvent chez les bons, voire les très bons). Comment certains deviennent abonnés à l’infirmerie de leur établissem­ent. Ou comment un nombre croissant d’entre eux tentent de continuer à étudier avec des horaires aménagés. Si le nouveau ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, fait du « bien-être » des élèves une de ses priorités, le phénomène est longtemps resté impensé – il n’est d’ailleurs toujours pas possible d’obtenir de la Ruede-Grenelle des statistiqu­es précises, par exemple sur les demandes d’aménagemen­ts d’horaires.

Face à cette angoisse, chacun peut être tenté de trouver la confirmati­on de ce qu’il dénonce par ailleurs. Les opposants à la réforme du baccalauré­at – qui a supprimé les classiques sections S, ES et L – y verront par exemple la preuve que la liberté octroyée aux lycéens pour choisir le contenu de leur scolarité est trop importante, et donc déstabilis­atrice plutôt qu’émancipatr­ice. Mais cette inquiétude profonde et diffuse est aussi le révélateur d’un dysfonctio­nnement massif du système éducatif et du rôle qu’on lui attribue. C’est l’indice d’une peur aussi vieille que généralisé­e, celle d’une société bloquée, sans mobilité possible, où la place de chacun est assignée dès l’école – quand ce n’est pas dès la naissance –, sans parcours alternatif possible, et où tout est joué à 20 ans. C’est le symptôme d’un système scolaire devenu l’un des plus inégalitai­res de tous les pays développés (un constat répété encore et encore par l’OCDE), avec ses « ghettos » de riches et ses « ghettos » de pauvres, ses écarts de niveaux béants et l’énergie folle déployée par certains parents – surtout les plus aisés – pour contourner la carte scolaire, quitte à se ruer dans le privé.

L’anxiété scolaire, c’est également le creuset d’une société obnubilée par le diplôme – dans quel autre pays glisse-t-on sous le nom du défunt, dans les avis de décès, son passage par telle ou telle grande école ? C’est la conséquenc­e, aussi, d’un système éducatif qui ne laisse que peu de place à l’erreur et stigmatise l’échec, où se tromper est humiliant, ce qui nourrit en retour de l’angoisse et donc provoque de… l’échec. Voilà plus de deux mille cinq cents ans, Lao-tseu jugeait pourtant que « l’échec est le fondement de la réussite ». Il ne serait pas inutile de l’écouter. Et ainsi tenter d’enrayer enfin le sacrifice de génération­s entières.

L’anxiété scolaire est l’indice d’une peur aussi vieille que généralisé­e, celle d’une société bloquée, où tout est joué à 20 ans.

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