Il faut abolir la notion de blasphème
La semaine dernière, une blogueuse marocaine a été condamnée à deux ans de prison ferme pour « atteinte à la religion musulmane » après avoir posté des publications sur Facebook jugées offensantes envers l’islam. Ce jugement, qui intervient quelques jours à peine après l’attaque au couteau subie par Salman Rushdie aux Etats-Unis, est d’une incroyable sévérité et renvoie le Maroc des années en arrière. Elle démontre aussi que la défaite des islamistes au cours des élections législatives de 2021 est davantage due à une volonté du palais d’en finir avec eux qu’à un véritable affaiblissement du Parti de la Justice et du Développement, parti des Frères musulmans au Maroc.
Que s’est-il passé ? Fatima Karim, 39 ans, avait été interrogée par la police le 15 juillet et était en détention depuis, a expliqué son frère à l’AFP. Elle a été jugée pour avoir commenté sur un ton satirique, en langue arabe sur sa page Facebook, des versets du Coran et des hadiths du prophète Mahomet, considérés comme sacrés dans la tradition musulmane. La blogueuse a pourtant présenté publiquement des excuses à « quiconque s’est senti offensé » par ses publications, assurant n’avoir jamais eu l’intention de porter atteinte à l’islam, religion d’Etat au Maroc. Les poursuites ont été déclenchées par le parquet. L’article 267-5 du Code pénal marocain, aux termes duquel Fatima Karim a été condamnée, punit de six mois à deux ans de prison ferme « quiconque porte atteinte à la religion musulmane ». La peine est susceptible d’être portée à cinq ans d’emprisonnement si l’infraction est commise en public – « y compris par voie électronique ». La blogueuse fera appel de la décision en s’appuyant sur la Constitution marocaine, qui garantit la liberté d’expression. Déjà, en juin 2021, une Italo-Marocaine avait été condamnée à trois ans et demi de prison ferme pour « atteinte à la religion musulmane ». La jeune femme avait été libérée peu après, sa peine ayant été réduite en appel à deux mois de prison avec sursis, à la suite d’une campagne de protestation de défenseurs des droits humains.
L’islamologue Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques à l’université de Tunis qui publiera l’an prochain au Seuil un livre sur la liberté d’expression en Islam, travaille depuis de longues années, sur la genèse du concept de blasphème. Celui-ci aurait été figé au xiie siècle par un cadi de Ceuta, Iyad, qui dans un livre sur les qualités du Prophète le définit strictement : c’est une injure, une parodie, une manière de médire du Prophète. Quiconque, musulman ou païen, insulte Dieu, ses anges, ses livres ou son Prophète, est passible de la peine de mort. A une époque marquée en Andalousie par de nombreux conflits entre non-musulmans et musulmans, il s’agissait alors de réaffirmer l’hégémonie de ces derniers. Doit-on gracier ceux qui se repentent ? La question fait l’objet d’un débat séculaire entre les écoles du droit. La notion de blasphème sera, un temps, suspendue au xixe siècle, alors que certains pays, sous l’influence d’une modernité exogène, adoptent des Constitutions qui reconnaissent les droits individuels. Mais après la période coloniale, les pays musulmans, en quasitotalité, rétablissent la doctrine médiévale. Ainsi le blasphème survit jusqu’à aujourd’hui dans le droit et l’imaginaire des musulmans. Une notion dont il est urgent de se défaire. « La seule manière d’être de son temps », selon Hamadi Redissi.
Une Marocaine jugée pour un ton satirique à propos du Coran.