Une affaire de famille
LEILA ET SES FRÈRES, PAR SAEED ROUSTAEE. DRAME IRANIEN, AVEC TARANEH ALIDOOSTI, NAVID MOHAMMADZADEH, PAYMAN MAADI (2H49).
Il y a Manouchehr, fraudeur invétéré, Parvis, père obèse de six gamins, Farhad, « des abdos à la place du cerveau », Alireza, que sa lâcheté a poussé à fuir l’usine dont il vient d’être licencié et à planter ses collègues, réprimés par la police pour avoir réclamé leurs paies. Et il y a Leila, leur soeur, décidée à réunir ses bons à rien de frères pour acheter des toilettes publiques et les transformer en boutique afin de se sortir de la misère. C’est compter sans leur père, Esmail, 80 ans et plus de dents, qui vendrait femme, enfants et leurs économies pour accéder au rang de parrain de la communauté, statut qui se monnaie en courbettes et pièces d’or. On retrouve dès l’ouverture, ample montage alterné entre une manifestation ouvrière, une réunion de patriarches et une séance de kiné où Leila tente de se libérer de ses douleurs (comprenez : le poids du patriarcat), le talent à planter un décor, le sens de l’espace, le style frontal du réalisateur de « la Loi de Téhéran ». Et ce plan devenu signature d’une foule d’hommes entassés, moutons d’un système liberticide et sclérosant qu’ils renverseraient en moins de deux s’ils faisaient front et fi de leur individualisme. La comparaison entre les deux films s’arrête là, Saeed Roustaee jouant le contre-pied de son polar à ciel ouvert : « Leila et ses frères » est un film de dialogues, un dédale de conversations, engueulades, confessions et règlements de comptes familiaux dans des lieux clos et appartements trop exigus, signes extérieurs de prison sociale. Une fresque domestique de deux heures quarante-neuf que l’on rapprocherait d’Asghar Farhadi – la présence de Taraneh Alidoosti (photo), remarquable actrice d’« A propos d’Elly » et du « Client », aidant – si Roustaee ne substituait aux coups de force scénaristiques de son confrère une approche satirique et pittoresque mêlée d’empathie pour ses personnages, saisis dans leurs ridicules mais terriblement humains. A l’image du vieux père, sosie d’Agecanonix dans « Astérix », pathétique d’orgueil et d’hypocrisie phallocrates, dont les moues enfantines retournent le coeur. Ou de Leila, dont la franchise cinglante est aussi l’expression de la douleur face à la misogynie qui la bride et à sa non-existence sociale. En cela, c’est le cinéma italien des années 1960-1970, celui de Pietro Germi et d’Ettore Scola, qu’évoque la réussite de « Leila et ses frères », jusque dans le marasme économique que révèle son éruptif portrait de famille. Qu’il n’ait eu aucun prix au dernier Festival de Cannes est une des nombreuses aberrations du palmarès.