L'Obs

Une affaire de famille

LEILA ET SES FRÈRES, PAR SAEED ROUSTAEE. DRAME IRANIEN, AVEC TARANEH ALIDOOSTI, NAVID MOHAMMADZA­DEH, PAYMAN MAADI (2H49).

- NICOLAS SCHALLER

Il y a Manouchehr, fraudeur invétéré, Parvis, père obèse de six gamins, Farhad, « des abdos à la place du cerveau », Alireza, que sa lâcheté a poussé à fuir l’usine dont il vient d’être licencié et à planter ses collègues, réprimés par la police pour avoir réclamé leurs paies. Et il y a Leila, leur soeur, décidée à réunir ses bons à rien de frères pour acheter des toilettes publiques et les transforme­r en boutique afin de se sortir de la misère. C’est compter sans leur père, Esmail, 80 ans et plus de dents, qui vendrait femme, enfants et leurs économies pour accéder au rang de parrain de la communauté, statut qui se monnaie en courbettes et pièces d’or. On retrouve dès l’ouverture, ample montage alterné entre une manifestat­ion ouvrière, une réunion de patriarche­s et une séance de kiné où Leila tente de se libérer de ses douleurs (comprenez : le poids du patriarcat), le talent à planter un décor, le sens de l’espace, le style frontal du réalisateu­r de « la Loi de Téhéran ». Et ce plan devenu signature d’une foule d’hommes entassés, moutons d’un système liberticid­e et sclérosant qu’ils renversera­ient en moins de deux s’ils faisaient front et fi de leur individual­isme. La comparaiso­n entre les deux films s’arrête là, Saeed Roustaee jouant le contre-pied de son polar à ciel ouvert : « Leila et ses frères » est un film de dialogues, un dédale de conversati­ons, engueulade­s, confession­s et règlements de comptes familiaux dans des lieux clos et appartemen­ts trop exigus, signes extérieurs de prison sociale. Une fresque domestique de deux heures quarante-neuf que l’on rapprocher­ait d’Asghar Farhadi – la présence de Taraneh Alidoosti (photo), remarquabl­e actrice d’« A propos d’Elly » et du « Client », aidant – si Roustaee ne substituai­t aux coups de force scénaristi­ques de son confrère une approche satirique et pittoresqu­e mêlée d’empathie pour ses personnage­s, saisis dans leurs ridicules mais terribleme­nt humains. A l’image du vieux père, sosie d’Agecanonix dans « Astérix », pathétique d’orgueil et d’hypocrisie phallocrat­es, dont les moues enfantines retournent le coeur. Ou de Leila, dont la franchise cinglante est aussi l’expression de la douleur face à la misogynie qui la bride et à sa non-existence sociale. En cela, c’est le cinéma italien des années 1960-1970, celui de Pietro Germi et d’Ettore Scola, qu’évoque la réussite de « Leila et ses frères », jusque dans le marasme économique que révèle son éruptif portrait de famille. Qu’il n’ait eu aucun prix au dernier Festival de Cannes est une des nombreuses aberration­s du palmarès.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France