Allez voir les alizés
LE VENT. “CELA QUI NE PEUT ÊTRE PEINT”, MUSÉE D’ART MODERNE ANDRÉ-MALRAUX, LE HAVRE, WWW.MUMA-LEHAVRE.FR, 02-35-19-62-62. JUSQU’AU 2 OCTOBRE.
Après les vagues, en 2004, et les nuages, en 2009, le Musée d’Art moderne André-Malraux (MuMa) fait souffler le vent. L’établissement, qui offre à travers ses transparences une vue unique sur le port du Havre, relève avec brio le défi d’une exposition consacrée à l’invisible. Comment représenter l’insaisissable ? La première difficulté est déjà d’identifier ces phénomènes météorologiques. Pendant longtemps, les hommes ont interprété les vents comme des manifestations divines. Dans l’Antiquité, ils prennent les traits d’Eole, de Zéphyr, de Borée qui alternent entre colère et douceur. Nourri de cet imaginaire classique, François Gérard peint en 1802 une jeune femme nue (la déesse Flore) caressée par une brume légère (son amant Zéphyr). Cet amour répand une pluie de fleurs sur la Terre. A la Renaissance, l’observation du climat se fait plus précise. Léonard de Vinci se penche sur la question de la figuration du souffle. Dans de courts essais, il énonce comment peindre l’air, le vent, la tempête. « La solution plastique est de signifier leur présence par leurs effets, explique l’une des trois commissaires de l’exposition, Annette Haudiquet, directrice du MuMa. Fureur des vagues, voiles déchirées des bateaux, arbres abattus… Cette codification perdure jusqu’à la fin du xviiie siècle. » Si l’exposition suit un parcours chronologique, elle s’autorise des rapprochements esthétiques heureux, comme cette petite eau-forte de Jacques Callot (« les Roseaux et le Vent », vers 1646), accrochée près d’une sculpture en tuyaux d’arrosage de Gloria Friedmann (« Hautes herbes agitées par le vent », 1983). La modernité est aussi insufflée par les photos de Jacques-Henri Lartigue, les cascades de Buster Keaton ou « le Repas de bébé » des frères Lumière, film de 1895 dans lequel le mouvement du vent vole la vedette au bambin. Au xixe siècle, la pratique de la peinture en plein air provoque un changement dans le traitement pictural du vent. Ce dernier perd son caractère de châtiment divin pour devenir un motif. « Le vent se profanise », résume Annette Haudiquet. Monet, Renoir, Van Dongen, Boudin explorent par la touche et le geste la manière de retranscrire un élément ressenti physiquement. La découverte des estampes japonaises par les Occidentaux participe à cette dimension plus sensorielle et émotionnelle des météores aériens. La plus belle salle rassemble une des « Trente-Six Vues du mont Fuji » (18311833) de Hokusai, « le Vent » (1910) de Félix Vallotton et un grand tableau photographique contemporain du plasticien Jeff Wall, inspiré par l’oeuvre du Japonais. Entre les trois, le courant passe.