SEUL CONTRE TOUS
LES CRIMINELS
Film policier britannique de Joseph Losey (1961). Avec Stanley Baker, Sam Wanamaker, Margit Saad. 1h37.
La fin est inoubliable : Stanley Baker (photo, au centre), seul dans un champ couvert de neige, court vers sa mort, sur un air de jazz. La caméra s’éloigne, des truands piochent le sol gelé, une femme pleure. Joseph Losey, victime de la chasse aux sorcières aux Etats-Unis, est arrivé en Angleterre en 1953. Mais c’est avec « les Criminels » qu’il a été – enfin ! – reconnu comme un grand réalisateur. Sur un scénario très étrange d’Alun Owen (l’auteur de « A Hard Day’s Night » pour les Beatles), Losey raconte la médiocre odyssée d’un truand sorti de prison qui replonge dans la crapulerie. En détention, devenu le protégé d’un kapo qui se prétend catholique (on regroupe les prisonniers par pratique religieuse), Bannion profite d’une rébellion pour s’éclipser et se retrouve doublé par ses anciens partenaires, qui exigent le fric qu’il a jadis volé sur un champ de courses. Scénario classique ? Pas tout à fait. Car Losey a un style et, surtout, des convictions. Celles-ci lui ont valu de visiter l’URSS, de devenir membre du Parti communiste et, en conséquence, d’être mis sur la liste noire des années McCarthy. Devenu chômeur, il s’est exilé et, coup de chance, a rencontré Harold Pinter, qui sera son scénariste, plus tard, pour « The Servant », « Accident » et « le Messager ». Entre-temps, il survit en réalisant des petits films (« Temps sans pitié », « l’Enquête de l’inspecteur Morgan »). Quand on lui propose « les Criminels », il exige de réécrire le scénario avec, pour toile de fond, un monde uniquement commandé par l’argent. Gardiens corrompus, truands sans loyauté, codes totalement transgressés… Tout est dur, noir : les amitiés sont biaisées, les rapports entre voyous aussi, les amours de passage, sinistres. La chanson du générique (« Thieving Boy », par Cleo Laine) est sublime et s’accorde parfaitement à la photo en noir et blanc de Robert Krasker. Stanley Baker, acteur suant la violence, est irremplaçable. Evidemment, c’est Losey lui-même qui se voit, abandonné de tous, dans cet univers glacial : d’où l’étrange compassion qui se dégage de ce polar, sans doute l’un des meilleurs des sixties.