L'Obs

LE SHAKESPEAR­E NIPPON

LES CONTES DE LA LUNE VAGUE APRÈS LA PLUIE

- FRANÇOIS FORESTIER

Drame japonais de Kenji Mizoguchi (1953). Avec Masayuki Mori, Eitaro Ozawa, Machiko Kyo, Kinuyo Tanaka. 1h37.

Le chef-d’oeuvre de l’âge d’or du cinéma japonais : lenteur, poésie, présence des esprits, dégradatio­n sociale, éternité de la nature, cruauté du destin. Découvert – et porté aux nues – par les « Cahiers du cinéma » dans les années 1950, le film de Kenji Mizoguchi reste un grand moment de cinéma, à condition d’être dans le mood. Il faut se laisser aller, apprécier l’atmosphère cotonneuse de ce conte fantastiqu­e, dont le style est à l’opposé du cinéma d’aujourd’hui. Quelques données : en 1952, Mizoguchi, après « les Musiciens de Gion » et « la Vie d’O’Haru femme galante », cherche à faire un film dont le message serait une condamnati­on de la guerre. A l’époque, il a déjà une soixantain­e de films à son actif, dont « la Vengeance des 47 ronin », récit belliciste sorti une semaine avant l’attaque de Pearl Harbor. Revenu à des sentiments moins guerriers, Mizoguchi choisit deux nouvelles de Ueda Akinari dans « Contes de pluie et de lune », livre publié en 1776, et les tisse ensemble. Une autre source d’inspiratio­n lui vient de Maupassant (« Décoré ! »). Voici donc l’histoire de Genjuro, un potier qui va en ville vendre ses produits, accompagné par Tobei, son ami. Ce dernier rêve de devenir samouraï, malgré le pays ravagé par les pirates, les soldats et le danger permanent. Genjuro va tomber amoureux de dame Wasaka, tandis que la femme de Tobei va se prostituer… Dès le début du tournage, le cinéaste indique son intention : donner un récit qui « se déroule sans interrupti­on, comme un rouleau de peinture ». Le directeur photo, Kazuo Miyagawa, prend la décision de filmer à partir de grues, avec des mouvements doux, et de faire des éclairages de faible intensité. A sa sortie, le film est couronné au Festival de Venise et salué par la critique. Trois ans plus tard, Mizoguchi meurt, à 58 ans, laissant derrière lui une oeuvre qui comprend 75 films selon les estimation­s, dont il ne reste que 30 titres. En 1996, la Japan Foundation établira que « Mizoguchi est le Shakespear­e du cinéma ».

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