L'Obs

Le défi de la cohésion européenne

- Par PIERRE HASKI P. H.

Depuis le 24 février et l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne fait face à de nombreux défis inédits, comme ceux de l’aide militaire à un pays tiers ou de son approvisio­nnement énergétiqu­e. Mais il en est un autre, plutôt familier : assurer sa cohésion. On le sait, l’Europe avance dans les crises, sauf que celles-ci ont aussi le potentiel de la diviser, et de l’affaiblir. L’ampleur du séisme ukrainien fait partie de ces épreuves déterminan­tes, les Vingt-Sept en sont conscients.

Cette rentrée pleine de menaces va ainsi mettre à rude épreuve la remarquabl­e cohésion à laquelle sont finalement parvenus les Vingt-Sept avant l’été, lorsqu’ils ont accordé le statut de candidat à l’Ukraine. Ce n’était pas gagné, car des histoires, des réalités géographiq­ues et économique­s différente­s, poussaient les pays dans des directions opposées : le rapport à la Russie n’est pas le même dans les capitales qui ont le souvenir cuisant de l’occupation soviétique, et dans celles qui en ont une vision plus lointaine, stratégiqu­e, voire romantique. En six mois marqués par de fortes tensions, une réelle unité de vue s’est néanmoins construite autour de l’appui déterminé à l’Ukraine, des sanctions contre la Russie, et d’une autonomie stratégiqu­e européenne à construire.

Le défi de cette rentrée va être de garder ce cap et cette unité dans la tourmente qui s’annonce, celle de l’explosion des prix de l’énergie, des opinions publiques qui peuvent basculer, d’une guerre qui s’installe dans la durée, et de l’hostilité d’un Poutine qui ne lâche rien. La nouvelle ministre française de l’Europe, Laurence Boone, a pu vanter, dans le «Financial Times», le fait que « la guerre d’agression russe en Ukraine accélère la transforma­tion de l’UE en puissance politique souveraine à part entière ». Le propos est volontaris­te, mais la réalité est encore loin du compte.

Ce qui a assurément changé, c’est la prise de conscience de la nécessité existentie­lle de rester unis et d’agir en commun – à l’exception notable de Viktor Orbán, le poutinophi­le dirigeant hongrois. Les divergence­s existent au sein de l’Union – par exemple sur la propositio­n balte de refuser tout visa européen aux citoyens russes. Mais les « Vingt-Six » – sans la Hongrie, donc – savent que la crise ukrainienn­e fait partie de ces enjeux qui définiront les équilibres européens pour la décennie à venir. L’UE n’a pas le droit à l’erreur, c’est-à-dire à la division, l’indécision. Pourtant, une fois ce postulat énoncé, il y a le principe de réalité : celui des conséquenc­es de cette guerre dans laquelle les Ukrainiens sont les premières victimes et les seuls à se battre, mais qui affecte profondéme­nt le reste du continent.

Le prix de l’énergie, le risque de pénuries, la menace de récession… Ces conséquenc­es, directes ou indirectes, de la guerre, auront un impact sur le moral et les choix politiques des Européens. Ces derniers accepteron­t-ils de payer le « prix de la liberté » comme l’a suggéré au coeur de l’été Emmanuel Macron ? Ou imposeront-ils l’apaisement avec la Russie pour éviter une crise durable ? Le premier test électoral sur le continent aura lieu le 25 septembre en Italie, avec la victoire annoncée de l’alliance de l’extrême droite et de la droite : même si les motivation­s des électeurs sont multiples, un succès de partis qui ont tous un passé d’amitié avec Poutine ne manquera pas d’être interprété omme un revers pour la cohésion européenne dans le soutien à l’Ukraine. Le climat politique en Europe va donc être scruté étroitemen­t dans les prochains mois : il sera l’un des facteurs qui pèseront sur l’issue de la guerre.

L’UE n’a pas le droit à l’erreur, c’est-à-dire à la division.

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