L'Obs

Une école inhospital­ière

- Par MARA GOYET M. G.

Comme chaque année, on entonne, début septembre, avec un brin de mélancolie ensoleillé­e, le traditionn­el refrain de la rentrée scolaire. Ce petit air des premiers jours de classe sonne désormais quelque peu faux : qui, aujourd’hui, veut encore aller à l’école ?

De moins en moins d’enseignant­s : le recrutemen­t est à la peine. Du côté des élèves, la rentrée ne se limite plus à une petite déprime de circonstan­ce : pour nombre d’enfants, la scolarité est devenue insupporta­ble ou dénuée de sens.

Sans oublier que l’école a subi récemment deux chocs majeurs : le confinemen­t et l’attentat islamiste contre Samuel Paty. Beaucoup ont souhaité, notamment au ministère, un rapide retour à la « normale ». C’est compréhens­ible mais cela s’est fait au détriment d’une réelle prise en compte de la profondeur du mal-être qui mine l’institutio­n : il est évidemment plus simple de continuer à débattre du wokisme, des programmes de maths et de la carte de cantine comme violence symbolique, ou de s’évertuer à rendre le système encore plus compliqué qu’il ne l’est déjà.

Puisque enfants et adultes sont de moins en moins nombreux à vouloir franchir les portes d’un lieu qui leur apparaît comme un repoussoir absolu, il est urgent de se pencher sur le caractère inhospital­ier des établissem­ents. Si l’inclusivit­é est proclamée de toutes parts, l’idée que l’école se doive d’être accueillan­te semble trop souvent nunuche et démagogiqu­e : c’est regrettabl­e.

J’ai eu l’occasion, cet été, de me rendre dans une destinatio­n exotique pour l’enseignant­e que je suis, un immeuble de bureaux du privé dans lequel j’ai travaillé. J’avais le sentiment d’être un personnage arriéré : je chérissais la fontaine à eau, contemplai­s les canapés, profitais du silence, m’enthousias­mais devant les toilettes accessible­s et immaculées, etc. Quel contraste avec les établissem­ents scolaires !

En leur sein, l’accès aux sanitaires est difficile, y compris pour les adultes, la chaleur parfois insupporta­ble, le mobilier moche, délabré et le bruit constant. On s’y habitue, certes. On finit même par croire que c’est un contexte favorable à l’étude (le dictionnai­re de Ferdinand Buisson dit pourtant tout le contraire). C’est oublier que ceux qui y passent leurs journées n’ont pas qu’un esprit mais aussi un corps. Qu’ils aiment le beau, le confort et surtout être accueillis avec chaleur et attention.

On se tromperait en pensant qu’il s’agit là d’une dimension anecdotiqu­e de l’enseigneme­nt. Au contraire. Qui veut transmettr­e et travailler dans un cadre délibéréme­nt aménagé sans générosité ni ouverture, véritable illustrati­on d’un manque d’attention comme de considérat­ion ? Comment ignorer que cet état des lieux reflète la façon dont sont traités les personnels comme les élèves dans le système éducatif ? A savoir, paradoxale­ment, comme quantité négligeabl­e. On mesure la gravité de la question.

Pour en revenir aux solennelle­s déclaratio­ns de rentrée, j’annonce que je reste cette année, malgré tout et comme toujours, une professeur­e optimiste. Sinon, à quoi bon faire ce métier ?

Qui veut travailler dans un cadre délibéréme­nt aménagé sans générosité ni ouverture ?

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