L'Obs

Le revenant

LE COMMERCE DES ALLONGÉS, PAR ALAIN MABANCKOU, SEUIL,300 P., 19,50 EUROS.

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Rester allongé ne semble pas le genre d’Alain Mabanckou. Cette année, alors qu’il était chroniqueu­r dans « l’Obs » et juré du Booker Prize, il a enseigné à l’université UCLA de Los Angeles, réalisé un beau documentai­re sur les « Noirs en France », préparé des cours pour l’Ecole polytechni­que de Zurich, piloté une collection de poésie aux éditions du Seuil, voyagé au Rwanda, au Pérou, en Colombie. Il faut croire, pourtant, que quelque chose manquera toujours à l’énergique prix Renaudot 2006 : son pays natal, ce Congo-Brazzavill­e où Denis Sassou-Nguesso est devenu président en 1979, et où lui-même n’est plus le bienvenu depuis bientôt dix ans. Pour s’y rendre, à la barbe des autorités, il ne lui reste qu’à écrire des romans.

Dans « le Commerce des allongés », Mabanckou les défie si bien, ces autorités, que même la frontière entre la vie et la mort est incertaine. C’est le grand sujet du livre, qui démarre dans le cimetière du Frère-Lachaise : son héros sort de sa tombe pour assister à ses propres funéraille­s. Est-ce un double du romancier ? Voilà un personnage qui lui permet de déambuler dans sa ville de Pointe-Noire, des maisons en planches du quartier Trois-Cents jusqu’aux bâtisses bling-bling du « quartier MTV, autrement dit quartier m’as-tu-vu ». Ici, on croise avec lui le prédicateu­r « Papa Bonheur », qui s’avère capable de sacrées saloperies. Là, de sensuelles« chanteuses pleureuses-danseuses », que« l’on paye pour leur capacité à garantir aux familles éprouvées une compassion sans failles ». Et là, l’élégant proverbe d’un certain « Mamba noir » : « Seul un idiot mesure la profondeur de l’eau avec ses deux pieds. » Pour l’auteur de « Mémoires de porc-épic », c’est une plongée en apnée dans les contes de son enfance. Façon de dire que cette culture-là reste à lui. Et de faire rayonner un imaginaire truculent, peuplé de féticheurs et de baratineur­s, où plus rien ne peut empêcher un revenant vêtu d’une « veste orange en crêpe » d’aller et venir dans le décor de sa jeunesse.

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