L'Obs

DEUX EN UN

SUDDEN IMPACT : LE RETOUR DE L’INSPECTEUR HARRY

- GUILLAUME LOISON

Film policier américain de Clint Eastwood (1983). Avec Clint Eastwood, Sondra Locke, Pat Hingle. 1h50.

Seul épisode des cinq « Dirty Harry » mis en scène par Clint Eastwood, « Sudden Impact » est entré dans la légende des grandes punchlines du cinéma : Magnum 44 tendu vers la caméra, regard perçant et lèvres pincées, l’irascible inspecteur balance à un petit braqueur de cafétéria un grinçant « Go ahead, make my day ! » (« Vas-y, fais-moi plaisir ! »). Cette petite phrase fera le bonheur immédiat des eastwoodop­hiles de la planète, jusqu’au président Ronald Reagan qui dégainera la réplique lors d’un discours officiel en 1985 (pour s’adresser aux tenants de la hausse des taxes). Le film, évidemment, vaut mieux que ça. Tourné une douzaine d’années après l’opus originel de Don Siegel, il navigue entre autoparodi­e et détours buissonnie­rs. Mythe policier désormais trop encombrant pour la criminelle de San Francisco (il est presque devenu un personnage de cartoon), Callahan est envoyé par sa hiérarchie dans une modeste bourgade voisine pour enquêter sur une série de crimes laissant les victimes émasculées. Le spectateur connaît le coupable dès l’ouverture : une belle blonde sophistiqu­ée, Jennifer Spencer, peintre de son état, qui se venge ainsi d’un viol collectif perpétré dix ans plus tôt. Que Sondra Locke incarne cette justicière clandestin­e pré-#MeToo n’est évidemment pas le fruit du hasard. Déjà au centre de « l’Epreuve de force » et de « Bronco Billy », elle est la muse eastwoodie­nne de ces années-là, appréhendé­e tout à la fois comme une femme insaisissa­ble et un subreptice alter ego. Le film passionne parce qu’il explore les confins de cette schizophré­nie. Si ce personnage apparaît à bien des égards l’antithèse absolue de Harry (une esthète, gracile et délicate, par opposition à la rugosité masculinis­te du flic), la mise en scène exacerbe de nombreux points de convergenc­e avec la star Eastwood. Comme cette ressemblan­ce physique soulignée par l’autoportra­it « munchien » de Jennifer et qui évoque en creux une image forte de « Play Misty for Me » (« Un frisson dans la nuit »), premier film d’Eastwood derrière la caméra – une autre histoire d’un homme martyrisé par une femme… Moralité : « Sudden Impact » abrite une oeuvre intime et torturée qui perce sous sa cuirasse de grosse machine commercial­e rodée et rigolarde.

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