L'Obs

Les superprofi­ts des ménages

- Par PASCAL RICHÉ P. R.

Historique ! » C’est avec des trémolos dans la voix, presque des cocoricos, que certains médias ont annoncé, le 21 septembre, la « collecte record » du Livret A au mois d’août : 4,5 milliards d’euros, trois fois plus que l’an dernier, un « excellent cru » pour le « placement préféré des Français ». Ah, le Livret A, douillet « matelas de précaution », « valeur refuge » qui nous accompagne depuis plus d’un demi-siècle, toujours fidèle, toujours disponible, sécurisé, à l’abri du fisc… on en parle toujours comme une merveille de la nature, un bas de laine sacré.

Il n’y a pourtant aucune raison de se réjouir de cette spectacula­ire moisson d’été, qui traduit avant tout, plus que la récente augmentati­on du taux de rémunérati­on du Livret A, une inquiétude face à l’avenir.

Et puis, contrairem­ent à une idée reçue, le Livret A n’est pas si populaire qu’on le croit. Près de 55 millions de Français en possèdent un, certes, mais il est le plus souvent vide ou quasi-vide : plus de la moitié d’entre eux ne détiennent, tous ensemble, que 2 % de l’encours total. Le magot est concentré : 14 % des livrets cumulent 55 % du total ! Il ne faut pas se raconter trop d’histoires, ceux qui mettent en ce moment de l’argent sur le Livret A ne sont pas les plus démunis. Avec la reprise de l’inflation, les familles modestes, elles, n’épargnent pas, elles peinent à boucler leurs fins de mois.

Pendant ce temps, les ménages les plus aisés vont bien, merci. Ces derniers temps, on pourrait même parler, à leur endroit, de « superprofi­ts ». J’exagère ? Prenez les chiffres de la Banque de France. En 2020 et en 2021, pendant la crise du Covid, le stock d’épargne a gonflé de 175 milliards d’euros. Un phénomène mécanique : pour passer la crise sanitaire sans trop de dégâts sociaux, l’Etat a déversé, à juste titre, de l’argent dans l’économie ; mais d’un autre côté, avec les restrictio­ns d’activités diverses (restaurati­on, transports, loisirs, culture…), on consommait moins. Faites le lien. Aujourd’hui, la moitié de cette « épargne Covid » est toujours là, qui dort. Elle est très majoritair­ement détenue par les 10 % les plus aisés, selon une récente étude du Conseil d’Analyse économique. Une « surépargne » tombée du ciel gris de la crise. Dans une récente note (1), le think tank de centre gauche Terra Nova résume abruptemen­t la situation : « Les circonstan­ces exceptionn­elles de la crise Covid ont conduit l’Etat à accorder un transfert équivalent à une année d’impôt sur le revenu (IR) à 10 % de la population. »

Les Français les plus riches sont donc à l’abri des chocs, à commencer par celui des prix de l’énergie. Ils sont d’autant plus à l’abri qu’ils profitent, autant que les plus modestes, du bouclier tarifaire et de la ristourne à la pompe… Tout cela, on en conviendra, n’est ni très sain ni très juste. Le « quoi qu’il en coûte » de la période Covid était nécessaire pour maintenir l’emploi, mais l’un de ses résultats, c’est que les contribuab­les ont étoffé le portefeuil­le de leurs compatriot­es les plus privilégié­s. Il y aurait bien un moyen de corriger la situation : l’augmentati­on de certains impôts. La fiscalité de l’épargne, par exemple. Ou encore, les taxes sur des produits de luxe polluants, 4x4 ou billets d’avion… Mais ce sont des sujets tabous. Malgré les besoins immenses d’investisse­ment public (hôpitaux, éducation, climat…), le refus de toucher aux impôts, sauf éventuelle­ment pour les baisser, a été érigé au rang de dogme. Pour équilibrer ses comptes, le gouverneme­nt préfère faire payer l’ensemble des Français par d’autres voies : en ciblant ceux de demain (c’est la dette) ou en amputant la durée de la retraite.

(1) Terra Nova, « Inflation et crise énergétiqu­e : comment surmonter l’épreuve ? », 21 septembre 2022.

Malgré les besoins d’investisse­ment public, le refus de toucher aux impôts a été érigé au rang de dogme.

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