L'Obs

Une bande à part

- Par MARA GOYET M. G.

Un hommage involontai­re à Godard ? Les petits ados traversent, comme Anna Karina, Claude Brasseur et Sami Frey dans « Bande à part », le musée en courant. Ils sont poursuivis par la sécurité. Arrivés à la sortie, ils font mine de voir leurs parents, au loin, et s’enfuient à toutes jambes.

Mais pourquoi cette course-poursuite, leur demandai-je, inquiète ? Une obscure histoire de bataille d’eau dans le jardin. C’était la fin de l’aventure. Avant, tout s’était heureuseme­nt bien passé.

Mes élèves sont allés au musée, à ma suggestion, afin de voir une oeuvre que je leur avais indiquée. Ils sont partis entre amis, ont croisé, en chemin, d’autres camarades. Tous s’y rendaient dans l’espoir d’obtenir la récompense que je leur avais promise: un 5/5, coefficien­t 1, dans leur moyenne. C’est dire l’enjeu.

Les musées rechignent à accueillir les enfants non accompagné­s. L’histoire de la bataille d’eau explique évidemment pourquoi. Néanmoins, on s’étonne que ces visiteurs juvéniles soient à ce point reçus à bras fermés: on se doute que les établissem­ents culturels ne sont pas envahis par la jeunesse et l’on devrait être heureux de la voir arpenter des salles qu’elle déserte le plus souvent.

Il serait peut-être envisageab­le de les escorter d’une manière ou d’une autre et de les encourager à revenir. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé ce jour-là: une femme (un guide? une visiteuse?) les a accompagné­s faire le tour du musée. Ils ont adoré.

Ils ont été émerveillé­s par les tableaux, leur taille, leurs sujets. Certains ont suscité, chez eux, la peur ; d’autres, le rire.

En les écoutant, j’ai été saisie par leur enthousias­me sincère, leur engouement total ; leur regard brillait comme s’ils avaient trouvé un coffre avec un trésor à l’intérieur. Ils voulaient ensuite visiter tous les musées du monde.

Je me suis demandé si, à 13 ans, j’aurais eu la même réaction. Sans doute pas. Je devais déjà être blasée. Comme le sont souvent les enfants habitués aux exposition­s. Là, c’était le contraire: il y avait toute la magie d’une rencontre authentiqu­e avec l’Art hors de toute obligation culturelle ou de rituel social. Sans pour autant que ce soit totalement improvisé : au sein du musée, se trouvait une oeuvre qu’ils avaient étudiée, qu’ils aimaient. Elle les attendait et leur donnait de l’assurance.

A la fin de leur récit endiablé, j’ai eu le coeur chaviré : j’avais envie de les prendre dans mes bras et de les remercier.

Evidemment, il y avait aussi eu l’épisode aqueux et les moments passés à imiter des statues, affalés par terre, dont témoignaie­nt les photos qu’ils avaient prises. J’ai tenté de les morigéner mais je n’étais pas vraiment convaincue. Leur périple ressemblai­t trop à une excursion de Tom Sawyer et leur trouille à celle inspirée par Joe l’Indien pour me déplaire. Le fait qu’ils soient une petite bande pas si sage, pas si policée faisait partie du charme de l’expédition. Comme de sa réussite: que la quête d’un tableau dans un musée inconnu devienne un moment inoubliabl­e pour ses élèves, c’est un rêve de professeur.

Il y avait la magie d’une rencontre authentiqu­e avec l’Art hors de toute obligation.

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