Ses mots pour le dire
La députée écologiste est souvent à l’origine de thèmes qui alimentent le débat public. Petit dictionnaire d’un vocabulaire très politique
ANDROCÈNE
Les scientifiques se demandent par quel terme désigner notre ère, marquée par la destruction de l’environnement. Certains ont proposé l’« anthropocène » : l’humain (« anthropos ») est devenu une force géologique nouvelle, à même de modifier le devenir de la planète, et donc la cause principale de la catastrophe environnementale en cours. Partant du constat que nous ne polluons pas tous de la même manière, d’autres préfèrent les mots « capitalocène » (pour désigner clairement le capitalisme) ou « plantationocène » (regrettant que la plantation se soit imposée comme modèle à la fois pour l’agriculture et l’organisation sociale). Sandrine Rousseau, elle, parle de l’« androcène » (de « andros », le « mâle »), considérant la virilité et ses dérivés (violence, racisme, exploitation, prédation, etc.) comme ce qui relie la crise écologique aux crises sociales. Elle l’explique dans un texte collectif « Par-delà l’androcène », paru au Seuil à la rentrée, et qui tient lieu de manifeste écoféministe, un courant de pensée fondé sur la conviction que sexisme et destruction de l’environnement sont intimement liés. De même que la nature est « féminisée » pour justifier son exploitation par l’industrie, les femmes sont « naturalisées » pour être cantonnées à la maternité. Il ne peut y avoir de combat écologique sans lutte féministe et réciproquement…
BARBECUE
Pour créer une polémique, le mot « barbecue» est parfait. La lettre B, les trois syllabes: il sonne comme le nom d’un beau scandale (Benalla, Bygmalion, Bettencourt, Balkany, Bolloré, Buitoni, Burkini…). Fin août, Sandrine Rousseau a fait part de son souhait de changer les mentalités pour que « manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ». Joli succès sur les réseaux sociaux et les plateaux des chaînes d’info continue. Que cherchait à dire la députée ? Que la consommation excessive de viande est mauvaise pour la planète – c’est un fait – et qu’elle est « genrée » pour des raisons culturelles ancrées – c’est également vrai : les hommes mangent plus de viande que les femmes. Mais beaucoup d’hommes (non déconstruits, bien sûr) ont
“Je préfère des femmes qui jettent des sorts que des hommes qui construisent des EPR.”
— SANDRINE ROUSSEAU
dénoncé une grotesque tentative de culpabilisation d’un sympathique rituel festif.
Le mot « barbecue » ne vient pas de l’embrochement d’animaux « de la barbe au cul », comme on se le transmet à tort, chaque été, dans les fumées du gril, mais de la langue arawak parlée par des Amérindiens des Antilles et d’Amazonie. Le « barbicu » (ou « barbocu », « barbacoa »…) désignait un treillage de branches de bois vert servant à fumer la nourriture. Ironie de l’histoire : compte tenu de ce que l’on sait des pratiques gastronomiques de ces Amérindiens, il est probable que cette claie servait surtout à fumer… du poisson et des légumes.
DÉCONSTRUIT
Quand Sandrine Rousseau, débattant avec Yannick Jadot lors de la primaire écologiste, a déclaré « Je vis avec un homme déconstruit et j’en suis hyperheureuse », elle s’est attiré bien des moqueries. Le concept de « déconstruction » n’était alors pas du toutconnu du grand public, et c’est l’image de la virago annihilant la virilité de son homme qui a occupé les esprits railleurs. « Ça doit faire mal, de se faire déconstruire par Rousseau […] A poil avec un tablier de soubrette, en train de faire la vaisselle ? » a élégamment commenté le magazine « Causeur ». La fachosphère a vite fait rimer « déconstruction » avec « castration » et avec « destruction » (de la société).
Que signifie ce concept ? Les hommes, mais aussi dans une moindre mesure les femmes, sont pétris de préjugés sexistes. Cela tient à l’éducation, à la prégnance des mythes, à la diffusion de schémas véhiculés par la culture ou les médias… Prendre conscience de ces a priori demande un peu de travail : des lectures, de l’écoute, de l’introspection. Dans son sens actuel, la « déconstruction » est l’héritière lointaine d’un concept assez abscons forgé par Jacques Derrida (1930-2004) : il s’agissait pour lui de décortiquer « les structures sédimentées qui forment l’élément discursif ». Que la source du mot soit le post-structuralisme ne peut que redoubler la hargne de la fachosphère, qui le considère comme le creuset de tous les maux culturels, la fameuse « pensée 68 ».
PARESSE
« On a un droit à la paresse »,
a lancé la députée Europe Ecologie-Les Verts sur France-Info, le 15 septembre. L’expression est un serpent de mer de la politique, depuis que le gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, l’a promue dans un pamphlet en 1880. Le « droit à la paresse » se réveille de temps en temps. Et à chaque fois, il suscite de hauts cris à droite, ce qui est évidemment le but recherché. Beaucoup sont encore tombés dans le panneau : « Dans le monde merveilleux de Sandrine Rousseau, on oublie que “le droit à la paresse” est in fine financé par ceux qui travaillent », a par exemple tweeté Marion Maréchal, de Reconquête.
Paul Lafargue se battait pour la réduction du temps de travail des ouvriers. Pour lui, le prolétariat a commis « l’étrange folie » de céder au « dogme du travail », alors que la priorité des socialistes devrait être la conquête du loisir, une philosophie que partagera plus tard le mouvement écologiste. Rien d’exceptionnel, donc. Sauf que le mot « paresse » est radioactif. Il heurte à la fois l’Eglise (pour qui l’oisiveté est la mère de tous les vices et la paresse un péché capital) et les détenteurs de capitaux (car sans travail, pas de profits). A la fin du xixe siècle, Lafargue était accusé de préparer la ruine du pays. Aujourd’hui, Sandrine Rousseau essuie exactement les mêmes critiques: « Si tout le monde veut un droit à la paresse, pas de problème, on retournera vivre dans des huttes et on mangera des racines »,
a ainsi commenté le sénateur LR Roger Karoutchi.
SORCIÈRES
« Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR [des réacteurs nucléaires, NDLR].» Dans une interview pour « Charlie Hebdo » parue en août 2021, Sandrine Rousseau avait déclaré sa flamme aux sorcières, figures centrales de l’écoféminisme. Dans le sillage des travaux de l’historienne Silvia Federici, et de son livre « Caliban et la sorcière », publié en 2004, de nombreuses féministes voient dans la chasse aux femmes accusées de sorcellerie, entre le xve et le xviie siècles, le moment où se noue la domination des hommes sur les femmes, de la science « moderne » sur les savoirs traditionnels, de la propriété privée sur les communs et de l’espèce humaine sur la Terre. Bref, les sorcières auraient été les martyres du patriarcat et du capitalisme naissant et il serait plus que temps de les réhabiliter. Hélas, cet usage militant suscite l’agacement de nombre d’historiens, qui soulignent les approximations, les exagérations et les torsions qu’impose cette grille de lecture. Récemment, Sandrine Rousseau s’est ainsi fait reprendre par des médiévistes après qu’elle a abordé ces questions lors d’une conférence à l’Université catholique de Louvain.
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