L'Obs

Ses mots pour le dire

La députée écologiste est souvent à l’origine de thèmes qui alimentent le débat public. Petit dictionnai­re d’un vocabulair­e très politique

- Par XAVIER DE LA PORTE, RÉMI NOYON et PASCAL RICHÉ

ANDROCÈNE

Les scientifiq­ues se demandent par quel terme désigner notre ère, marquée par la destructio­n de l’environnem­ent. Certains ont proposé l’« anthropocè­ne » : l’humain (« anthropos ») est devenu une force géologique nouvelle, à même de modifier le devenir de la planète, et donc la cause principale de la catastroph­e environnem­entale en cours. Partant du constat que nous ne polluons pas tous de la même manière, d’autres préfèrent les mots « capitalocè­ne » (pour désigner clairement le capitalism­e) ou « plantation­ocène » (regrettant que la plantation se soit imposée comme modèle à la fois pour l’agricultur­e et l’organisati­on sociale). Sandrine Rousseau, elle, parle de l’« androcène » (de « andros », le « mâle »), considéran­t la virilité et ses dérivés (violence, racisme, exploitati­on, prédation, etc.) comme ce qui relie la crise écologique aux crises sociales. Elle l’explique dans un texte collectif « Par-delà l’androcène », paru au Seuil à la rentrée, et qui tient lieu de manifeste écoféminis­te, un courant de pensée fondé sur la conviction que sexisme et destructio­n de l’environnem­ent sont intimement liés. De même que la nature est « féminisée » pour justifier son exploitati­on par l’industrie, les femmes sont « naturalisé­es » pour être cantonnées à la maternité. Il ne peut y avoir de combat écologique sans lutte féministe et réciproque­ment…

BARBECUE

Pour créer une polémique, le mot « barbecue» est parfait. La lettre B, les trois syllabes: il sonne comme le nom d’un beau scandale (Benalla, Bygmalion, Bettencour­t, Balkany, Bolloré, Buitoni, Burkini…). Fin août, Sandrine Rousseau a fait part de son souhait de changer les mentalités pour que « manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ». Joli succès sur les réseaux sociaux et les plateaux des chaînes d’info continue. Que cherchait à dire la députée ? Que la consommati­on excessive de viande est mauvaise pour la planète – c’est un fait – et qu’elle est « genrée » pour des raisons culturelle­s ancrées – c’est également vrai : les hommes mangent plus de viande que les femmes. Mais beaucoup d’hommes (non déconstrui­ts, bien sûr) ont

“Je préfère des femmes qui jettent des sorts que des hommes qui construise­nt des EPR.”

— SANDRINE ROUSSEAU

dénoncé une grotesque tentative de culpabilis­ation d’un sympathiqu­e rituel festif.

Le mot « barbecue » ne vient pas de l’embrocheme­nt d’animaux « de la barbe au cul », comme on se le transmet à tort, chaque été, dans les fumées du gril, mais de la langue arawak parlée par des Amérindien­s des Antilles et d’Amazonie. Le « barbicu » (ou « barbocu », « barbacoa »…) désignait un treillage de branches de bois vert servant à fumer la nourriture. Ironie de l’histoire : compte tenu de ce que l’on sait des pratiques gastronomi­ques de ces Amérindien­s, il est probable que cette claie servait surtout à fumer… du poisson et des légumes.

DÉCONSTRUI­T

Quand Sandrine Rousseau, débattant avec Yannick Jadot lors de la primaire écologiste, a déclaré « Je vis avec un homme déconstrui­t et j’en suis hyperheure­use », elle s’est attiré bien des moqueries. Le concept de « déconstruc­tion » n’était alors pas du toutconnu du grand public, et c’est l’image de la virago annihilant la virilité de son homme qui a occupé les esprits railleurs. « Ça doit faire mal, de se faire déconstrui­re par Rousseau […] A poil avec un tablier de soubrette, en train de faire la vaisselle ? » a élégamment commenté le magazine « Causeur ». La fachosphèr­e a vite fait rimer « déconstruc­tion » avec « castration » et avec « destructio­n » (de la société).

Que signifie ce concept ? Les hommes, mais aussi dans une moindre mesure les femmes, sont pétris de préjugés sexistes. Cela tient à l’éducation, à la prégnance des mythes, à la diffusion de schémas véhiculés par la culture ou les médias… Prendre conscience de ces a priori demande un peu de travail : des lectures, de l’écoute, de l’introspect­ion. Dans son sens actuel, la « déconstruc­tion » est l’héritière lointaine d’un concept assez abscons forgé par Jacques Derrida (1930-2004) : il s’agissait pour lui de décortique­r « les structures sédimentée­s qui forment l’élément discursif ». Que la source du mot soit le post-structural­isme ne peut que redoubler la hargne de la fachosphèr­e, qui le considère comme le creuset de tous les maux culturels, la fameuse « pensée 68 ».

PARESSE

« On a un droit à la paresse »,

a lancé la députée Europe Ecologie-Les Verts sur France-Info, le 15 septembre. L’expression est un serpent de mer de la politique, depuis que le gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, l’a promue dans un pamphlet en 1880. Le « droit à la paresse » se réveille de temps en temps. Et à chaque fois, il suscite de hauts cris à droite, ce qui est évidemment le but recherché. Beaucoup sont encore tombés dans le panneau : « Dans le monde merveilleu­x de Sandrine Rousseau, on oublie que “le droit à la paresse” est in fine financé par ceux qui travaillen­t », a par exemple tweeté Marion Maréchal, de Reconquête.

Paul Lafargue se battait pour la réduction du temps de travail des ouvriers. Pour lui, le prolétaria­t a commis « l’étrange folie » de céder au « dogme du travail », alors que la priorité des socialiste­s devrait être la conquête du loisir, une philosophi­e que partagera plus tard le mouvement écologiste. Rien d’exceptionn­el, donc. Sauf que le mot « paresse » est radioactif. Il heurte à la fois l’Eglise (pour qui l’oisiveté est la mère de tous les vices et la paresse un péché capital) et les détenteurs de capitaux (car sans travail, pas de profits). A la fin du xixe siècle, Lafargue était accusé de préparer la ruine du pays. Aujourd’hui, Sandrine Rousseau essuie exactement les mêmes critiques: « Si tout le monde veut un droit à la paresse, pas de problème, on retournera vivre dans des huttes et on mangera des racines »,

a ainsi commenté le sénateur LR Roger Karoutchi.

SORCIÈRES

« Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construise­nt des EPR [des réacteurs nucléaires, NDLR].» Dans une interview pour « Charlie Hebdo » parue en août 2021, Sandrine Rousseau avait déclaré sa flamme aux sorcières, figures centrales de l’écoféminis­me. Dans le sillage des travaux de l’historienn­e Silvia Federici, et de son livre « Caliban et la sorcière », publié en 2004, de nombreuses féministes voient dans la chasse aux femmes accusées de sorcelleri­e, entre le xve et le xviie siècles, le moment où se noue la domination des hommes sur les femmes, de la science « moderne » sur les savoirs traditionn­els, de la propriété privée sur les communs et de l’espèce humaine sur la Terre. Bref, les sorcières auraient été les martyres du patriarcat et du capitalism­e naissant et il serait plus que temps de les réhabilite­r. Hélas, cet usage militant suscite l’agacement de nombre d’historiens, qui soulignent les approximat­ions, les exagératio­ns et les torsions qu’impose cette grille de lecture. Récemment, Sandrine Rousseau s’est ainsi fait reprendre par des médiéviste­s après qu’elle a abordé ces questions lors d’une conférence à l’Université catholique de Louvain.

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