L'Obs

FLORENCE FORESTI FEMME AU BORD DE LA CRISE DE NERFS

Dans la série “Désordres”, autofictio­n drôle, parfois sombre et toujours sincère, la star comique documente sa vie de femme et d’artiste ponctuée par l’anxiété et le doute.

- Propos recueillis par Guillaume Loison

« Désordres » se situe en 2018, durant les balbutieme­nts de l’écriture de votre spectacle « Epilogue », sorti la même année. Quelle précision dans les dates…

Florence Foresti. [Elle rigole.] A cette époque, le désir de monter « Epilogue » a volontaire­ment parasité la fabricatio­n de « Désordres ». J’ai eu subitement très envie de monter sur scène, en grande partie pour combattre mon anxiété. Je caressais le rêve depuis très longtemps de faire une série et, au moment de le concrétise­r, je me suis sentie écrasée par le poids de l’enjeu. Le spectacle était un moyen de me défiler, mais avec bonheur.

A quoi ressemblai­t la première version de la série ?

Ma première envie, il y a au moins dix ans, était de parler des femmes. Mais au bout d’un moment, j’ai craint qu’il n’y ait rien d’excitant à raconter, une fois qu’on a 45 ans, mariée, avec des gosses… « Better Things », la série géniale de Pamela Adlon qui traite de la vie de famille, m’a convaincue du contraire. « Désordres » est alors née de mon désir de raconter les affres de la garde alternée.

Finalement, ce sujet reste en creux.

Exactement. Dans l’écriture, c’est même devenu une impasse : si je parle de ma fille, qu’est-ce que je montre d’elle ? Est-ce que je lui fais jouer son propre rôle ? Ça m’a tellement pris la tête que j’ai décidé de laisser tout cela hors champ. Je me suis juste servie des semaines où Florence se retrouve seule pour développer une autre intrigue.

« Désordres » met en scène une part de vous-même souvent très drôle, mais on rit presque toujours à vos dépens.

Oui… Autant la scène est un endroit où on essaie de guider le rire, autant la vraie vie vous échappe souvent. Soit les autres me font rire, soit je subis des situations qui sont assez humiliante­s. Comme j’ai la chance de faire le guignol dans des conditions rêvées, je me suis permis de montrer le revers de la médaille, d’explorer des choses plus émouvantes, plus subtiles.

Conséquenc­e, votre jeu est beaucoup plus sobre que sur scène. Vous vous êtes retenue ?

C’est mon clown qui monte sur scène, pas moi. Ma manière de supporter d’être en public, c’est de lui laisser toute la place, il m’aide à lutter contre les moments de vide, mais il m’épuise. Dans « Désordres », je joue au plus proche de ce que je suis dans la sphère privée. Ça ne m’a pas été difficile…

Ce qui est beau et angoissant ici, c’est de constater que votre spectacle naît de micro-saillies, que vous remettez sans arrêt en cause avec votre coauteur. Vous écrivez donc tous vos sketches en doutant ainsi ?

Oh, oui ! On tâtonne, on s’échine, on trouve un truc qui paraît génial et puis non, ça ne va pas, ce n’est pas universel, ça ne prend pas. Je gratte les fonds de tiroir, non pas au sens de reprendre des vieilles blagues mais de chercher partout, tout le temps, la moindre chose qui pourrait nourrir le spectacle. Avec Pascal Serieis, mon coauteur qui me suit sur tous mes projets depuis « Mother Fucker », on a opéré différemme­nt pour « Boys Boys Boys » [son nouveau spectacle, NDLR] : là, je savais dès le départ qu’on tournerait autour du thème du masculin. C’est en cela que le spectacle vivant est magique, il n’y a pas de recette.

La seule recette, pour vous, semble être de travailler en duo ou en bande.

Je suis incapable de prendre mon laptop, d’ouvrir un fichier et de travailler. Ça me déprime, je trouve ça nul, ça m’emmerde. Moi, je ne suis pas une autrice de chroniques, j’ai besoin d’un public, même d’une seule personne, en l’occurrence Pascal, et d’enfiler mon clown.

Pascal Serieis collabore-t-il avec d’autres artistes que vous ?

Pascal fait d’autres choses, avec d’autres

gens, mais il ne me le dit pas. Comme je lui prends beaucoup de son temps, il doit travailler la nuit !

Il fait partie des nombreux personnage­s à votre service dans « Désordres ». Vous êtes la patronne de tous vos amis, en fin de compte !

Je n’avais pas peur de le montrer. C’est ma réalité parisienne… Mes vieux amis sont à Lyon, ma famille également, mais ils ne s’intègrent pas à ma vie quotidienn­e. Mon métier me mobilise entièremen­t, du matin au soir, la nuit, tout le temps. Alors oui, peutêtre que ces personnes n’ont pas d’autre choix que d’être dépendante­s de moi, qu’elles préférerai­ent être ailleurs… J’ai appris non pas à aimer ça mais à l’accepter. Et puis pourquoi travailler pour moi les empêcherai­t d’être mes amis ? J’ai gardé des liens solides avec d’anciens collaborat­eurs.

Vous êtes entourée jusque dans vos phases de dépression, où vous dialoguez avec un personnage énigmatiqu­e, une sorte d’esprit malin, incarné par Luc Antoni.

L’identité de ce type reste floue : on peut le voir comme ma conscience, mon anxiété, ma peur… A mon sens, c’est clair, c’est la mort qui vient me chercher. Quand vous souffrez comme moi d’attaques de panique, vous pensez dans ces moments-là que vous allez y passer.

Vous vous montrez aussi en mauvaise posture en jouant les maîtresses de cérémonie. Impossible de ne pas penser à la polémique des César 2020 que vous aviez animés dans l’atmosphère suffocante de l’affaire Polanski. C’était la première fois que vous suscitiez la controvers­e. Etes-vous prête à en rire ?

Ça reste difficile parce que je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé. Je suis capable de travailler sur les erreurs que j’ai pu commettre, mais quand on vous accuse de choses fausses, comme Cyril Hanouna l’a fait, à propos de ma rémunérati­on ou de mes supposés manquement­s, c’est injuste, inacceptab­le. J’ai été droite dans mes bottes, j’ai fait le travail qu’on m’avait demandé dans un contexte épouvantab­le, j’ai été fidèle à ce que je pense et à ce que je voulais dire. Tout le monde, au sein de la chaîne, a vu mes textes en amont, mes répétition­s, il y avait un metteur en scène. Maxime Saada, le patron de Canal+, m’a dit bravo à la fin des César. Je crois n’avoir été déshonoran­te avec personne, si ce n’est avec la famille Polanski, mais c’est malheureus­ement le lot des gens exposés à des accusation­s d’être dans le viseur des humoristes. Je ne l’ai ni accusé ni jugé, je me suis juste servie de ce contexte pour essayer de faire rire. Mon seul regret est de n’avoir pu aller au bout de ma mission de maîtresse de cérémonie : je suis restée en coulisses à la toute fin parce que j’étais en larmes. J’avais tout envisagé, sauf que Polanski remporte le prix du meilleur réalisateu­r. Je l’ai pris contre moi, ce qui était idiot, j’en conviens. Ma pudeur m’a dicté de demander au régisseur d’annoncer en voix off Sandrine Kiberlain [la présidente de la cérémonie et remettante du césar, NDLR]. Au fond, la seule susceptibl­e de m’en vouloir, c’est elle.

“AUTANT LA SCÈNE EST UN ENDROIT OÙ ON ESSAIE DE GUIDER LE RIRE, AUTANT LA VRAIE VIE VOUS ÉCHAPPE SOUVENT.”

Vous sentiez le malaise monter en direct ?

Même pas. Canal m’avait bien protégée, je n’étais pas au courant des manifestat­ions féministes à l’extérieur de la salle avant la cérémonie. J’étais dans mon rôle de comédienne, à répéter mon texte, avec les acteurs que j’invitais. Cela dit, le malaise était palpable bien avant ! Quand j’ai dit « Bienvenue à la dernière cérémonie des César », je le pensais ! Ce vieux monde bourgeois (auquel j’appartiens) qui se congratula­it alors que tout s’écroulait autour de lui, pour moi ça sonnait la fin de tout.

Le monde de la scène que vous esquissez dans « Désordres » apparaît encore plus concurrent­iel et impitoyabl­e que celui du cinéma. On dit souvent que les comiques passent vite de mode. Ça vous fait peur ?

En surface, non, mais en vrai, oui, certaineme­nt… J’espère avoir la sagesse d’arrêter avant qu’on me dise stop. ■

Série en 8 épisodes, avec Florence Foresti, Béatrice Facquer, Laetitia Vercken, Anouk Féral, Luc Antoni, Baptiste Lecaplain, Audrey Lamy…

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