L'Obs

VIVA SPIELBERG !

WEST SIDE STORY

- Drame musical américain de Steven Spielberg (2021). Avec Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBose, Rita Moreno. 2h36. FRANÇOIS FORESTIER

L’émotion nue, la virtuosité en plus. Littéralem­ent magique, voici l’un des films les plus réussis de Spielberg, traversé par un allant, une conviction, un Gulf Stream d’amour. En reprenant l’oeuvre de théâtre originale (1957), le cinéaste insuffle une nouvelle vie à cette adaptation de « Roméo et Juliette », lui donne une flamme incroyable. Il a gardé la musique, modernisé les ballets, renforcé l’arrière-plan social et politique et donné aux femmes – Ariana DeBose (photo, au centre), Rachel Zegler – les beaux rôles. Cette guerre qui oppose deux gangs – les Jets, d’origine polonaise, et les Sharks, portoricai­ns – sur les ruines d’un quartier en pleine démolition renvoie clairement au racisme ambiant actuel, dans l’Amérique post-Trump. Mais ce qui prime, c’est l’incroyable vague d’émotion qui déferle, dès que les numéros musicaux arrivent, avec des airs connus de tous : « Maria », « I Feel Pretty », « Somewhere », « America »… C’est que Spielberg et son scénariste, Tony Kushner, privilégie­nt la love story, lui redonnent une dimension hautement tragique : ces amants que tout oppose, que tout sépare, qui se retrouvent sur les escaliers de fer d’une cité en décomposit­ion sont bouleversa­nts. Et quand Rita Moreno, qui jouait Anita dans le film de 1961, devenue une magnifique vieille dame de 89 ans, chante « Somewhere » dans la pénombre, comment ne pas avoir la gorge serrée ? Cette Portoricai­ne dont la vie a été marquée par l’intoléranc­e, qui affirme que « quelque part il y a une place pour nous », est inoubliabl­e. Pour son trente-cinquième film, Spielberg filme le West Side comme une ville fantôme, source d’une violence omniprésen­te : amples mouvements de caméra, arrière-cours traversées de cordes à linge, rues vétustes. Le film de 1961, signé par Robert Wise et Jerome Robbins, titulaire de dix oscars, s’efface, et les héros de l’époque – George Chakiris, Russ Tamblyn, Natalie Wood – ont été remplacés par des Latinos, donnant une authentici­té, une tonalité différente. On sort de là chaviré, les yeux étincelant­s, le coeur égaré dans les décombres du West Side.

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