L'Obs

PLAISIR COUPABLE

Comédie française de Pierre Salvadori (2017). Avec Adèle Haenel, Pio Marmaï. 1h47.

- DAVID CAVIGLIOLI

Malgré sa facture impeccable­ment classique, « En liberté ! » passerait presque pour une bizarrerie dans la comédie française actuelle. Le film ne repose pas sur un concept choc, du type « un patron sexiste se réveille dans la peau de sa secrétaire ». Le pitch a même quelque chose de délicieuse­ment tordu : Yvonne (Adèle Haenel), veuve d’un grand flic niçois, découvre que son défunt mari (Vincent Elbaz) était un pourri ; elle se lie d’amitié avec Antoine (Pio Marmaï, épatant), jeune homme tout juste sorti de prison, que ledit pourri avait fait condamner à tort pour le braquage d’une bijouterie. Sauf que la prison a transformé cet ex-innocent en animal ultraviole­nt décidé à tout cramer, obsédé par l’idée de commettre le braquage pour lequel il a été injustemen­t puni. C’est l’autre étrangeté du film : il fait l’éloge du crime, de la démence. Il chante le plaisir de détruire, la joie de décevoir. Il renoue avec l’esprit acide de la vieille comédie européenne, tombé en désuétude depuis que l’humour américain, trash mais conservate­ur, est devenu le modèle à suivre. Comme son titre l’indique, « En liberté ! » est une comédie libertaire, presque séditieuse, sortie à un moment où le cinéma populaire français ne sert que des hymnes à la tolérance et des odes à la famille. Le film a quelques défauts. Il dure une heure quarante-sept, ce qui est un peu long. Il est ponctué par des gags à répétition qui, à trop se répéter, perdent en drôlerie. Il n’échappe pas à la malédictio­n du ventre mou, cette maladie scénaristi­que qui frappe neuf comédies sur dix. Mais, même dans ses temps morts, il est réanimé par l’inventivit­é constante de sa mise en scène et par son fond mélancoliq­ue, qui sont les deux signatures de Salvadori. Le réalisateu­r des « Apprentis » maîtrise suffisamme­nt les codes de la comédie pour vous faire rire avec ce qui, en soi, n’est pas drôle : un pauvre homme que la prison a rendu fou, une femme malheureus­e qui découvre que l’homme de sa vie était un salaud, une société tellement vérolée qu’il vaut parfois mieux être coupable qu’innocent.

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