Jusqu’où réguler les “quick commerces” ?
“C’est un cauchemar pour tout le monde”
Pourquoi avez-vous alerté sur la prolifération des « quick commerces » dans les villes ?
Je n’ai pas de refus de principe contre la livraison, qui peut être utile pour des personnes dépendantes ou travaillant en horaires décalés. En revanche, je suis très opposé aux services de livraison ultrarapide : il y a une énorme escroquerie à faire croire au consommateur que l’on peut payer au même prix qu’ailleurs des produits livrés en quinze minutes. Ces entreprises ont une stratégie de prise de part de marché, mais arrivera un moment où quelqu’un paiera pour ce système : soit la personne qui livre, en étant exploitée, soit le consommateur, complice de nouveaux modèles de distribution dont il sera prisonnier dans quelques années, quand le commerce traditionnel aura été en partie anéanti… Sur dix entreprises de « quick commerce », neuf vont mourir et une touchera peut-être la martingale en se revendant à un réseau de distribution. Pensons au modèle Uber, aux tarifs moindres que les taxis , qui n’a jamais été rentable parce qu’il ne fait pas payer le prix réel de la course. Je recommande que la Cour des Comptes ou l’Inspection générale des Finances se penchent sur le modèle des plateformes numériques : en France, vendre à perte est interdit.
ailleurs, les riverains se plaignent…
C’est un cauchemar pour tout le monde. Pour les commerçants traditionnels, c’est une concurrence déloyale : un boucher, un boulanger ne peut pas s’aligner sur les loyers dont un dark store [entrepôt d’un « quick commerce »] peut s’acquitter. Cela crée une complicité malsaine entre des propriétaires qui cherchent le revenu maximal et des entreprises voulant s’implanter en centre-ville, parce que c’est le seul moyen d’espérer remplir leur promesse de livraison rapide. Pour les habitants, ce sont des flux de livraison parfois de 6 heures à minuit, avec bruit, encombrement, etc. La logistique en ville se fait de façon responsable et régulée. Là, on est au coeur d’une économie irrespectueuse de son environnement, qui anéantit des dizaines d’années de conquêtes sociales pour les salariés et fragilise nos commerces.
Le gouvernement doit publier ces jours-ci un arrêté sur ces magasins fantômes. Qu’en pensez-vous ?
Dans le projet initial d’arrêté, il y avait la main de Bercy, clairement très sensible au lobbying des grands acteurs du numérique. Nous – les associations d’élus et de grandes villes concernées – avons été reçus par Olivia Grégoire et Olivier Klein [ministres délégués du Commerce et de la Ville], qui ont arbitré dans notre sens. Même avec un point de retrait pour particuliers, ces lieux resteront classés comme entrepôts. L’illégalité d’un très grand nombre de dark stores, en particulier à Paris, est confirmée.
Propos recueillis par