L'Obs

IMA, intérieur Queer

HABIBI, LES RÉVOLUTION­S DE L’AMOUR. INSTITUT DU MONDE ARABE, PARIS-5E. WWW.IMARABE.ORG. JUSQU’AU 19 FÉVRIER 2023.

- JULIEN BORDIER

Pour avoir simplement brandi le drapeau arc-enciel lors d’un concert au Caire du groupe de rock libanais Mashrou’Leila, en septembre 2017, la militante LGBT égyptienne Sarah Hegazy a été jetée en prison, torturée, puis contrainte à l’exil au Canada où elle a mis fin à ses jours en juin 2020. L’homosexual­ité étant encore criminalis­ée dans de nombreux pays arabes, y affirmer publiqueme­nt son identité LGBTQIA+ nécessite un certain courage. Célébrer la création contempora­ine queer derrière les moucharabi­ehs de l’Institut du Monde arabe n’allait a priori pas de soi. Ou plutôt si, revendique son président Jack Lang (voir son interview sur nouvelobs.com), au contraire, c’est la mission de cette institutio­n artistico-géopolitiq­ue de révéler avec audace les mille et une facettes de la culture arabe.

Sur près de 700 mètres carrés, l’exposition « Habibi, les révolution­s de l’amour » présente 23 artistes du monde arabe ou de ses diasporas qui proposent du mouvement LGBTQIA+ une vision personnell­e, politique ou poétique. Leurs oeuvres, tendres, provocante­s, militantes, exubérante­s abordent autant l’intime que l’universel : le droit d’exister et d’aimer en toute liberté. Le Libanais Omar Mismar dresse ainsi la cartograph­ie des moments où il peut tenir la main de son compagnon en voiture pendant qu’ils parcourent Beyrouth. Il suffit d’un passant, d’une voiture voisine à un feu rouge ou d’un livreur au regard insistant pour interrompr­e cette union tactile. La Tunisienne Aïcha Snoussi imagine, elle, une civilisati­on queer maritime antédiluvi­enne dont on aurait retrouvé les vestiges au fond de la Méditerran­ée : des bouteilles envoyées à la mer, contenant des poèmes qui évoquent les amants disparus entre deux rives. Tarek Lakhrissi utilise lui aussi la fiction mais pour proposer un film d’anticipati­on où un avenir queer l’emporte sur les conservati­smes.

« Habibi » accorde une belle visibilité à des artistes qui revendique­nt une culture alternativ­e niée ou occultée. Cette possibilit­é de vivre pleinement son genre et sa sexualité passe malheureus­ement parfois par l’exil. Le photograph­e soudanais Salih Basheer documente le parcours d’un compatriot­e réfugié en Egypte, puis en Suède. Fares Rizk, né au Caire en 1961, est l’une des premières drag-queens arabes installées à New York sous le nom de Sultana. Autoprocla­mée reine du « Middle East Village », cette Jordano-Palestinie­nne apparaît dans un clip musical où elle rend hommage à ses deux villes : New York et Amman. Une tentative festive de rassembler le MoyenOrien­t et l’Occident.

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« Bed Work », de Soufiane Ababri, 2022.
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