Vol par omission

Face à la conjoncture, j’ai décidé de me mettre sérieusement au vol. Pas à l’arraché ni à main armée, mais par omission. D’ailleurs, c’est ainsi que j’ai commencé : sans faire exprès. La première fois, je suis sortie du magasin avec une casquette sur la tête que je n’avais pas payée. J’ai failli faire demi-tour, mais je venais de me faire pickpocketer mon téléphone. C’était donc un dédommagement cosmique (ou un acte manqué, selon que vous croyez à l’astrologie ou à la psychanalyse). La deuxième fois, je n’ai rien dit quand j’ai vu qu’il manquait ma boisson sur l’addition d’un restaurant à la bavette déceptive. La troisième fois, j’étais devenue experte en larcin correctif. Mon terrain de jeu : les caisses automatiques. Pas besoin d’être truand de profession, il su t de se tromper. J’appelle ça l’arnaque au code-barres. J’ai ainsi fait passer un raisin à 10 euros le kilo (oui) pour son cousin moins flamboyant à 3,89 euros. Le frisson. Pas celui du cleptomane qui doit voler pour vibrer, mais celui de l’homme moderne abusé qui se fait justice lui-même. « J’estime que je bosse gratuitement à la caisse, donc je me verse un salaire en comté », m’explique une amie. C’est rarement discuté à l’apéro, mais nous sommes nombreux. De plus en plus même. Dans les Vosges, une femme de 19 ans a été placée en garde à vue pour avoir travesti du fromage à raclette en tomates cerises. C’est l’autoréduction en solitaire, le communisme immédiat au Monoprix, la solution risquée contre la hausse des prix. Comme tous les bons bandits, j’ai un code d’honneur. Je pratique les mardis et je ne m’en prends qu’aux grandes enseignes. Ce qui n’empêche pas la culpabilité, activité extrascolaire répandue dans ma famille. Partie sans payer d’un restaurant appartenant à un milliardaire français, j’en ai fait des cauchemars : et si ce trou de caisse devait être comblé par les employés? J’ai téléphoné à minuit pour régler l’addition, gonflée d’un pourboire de rédemption. Mais encore faut-il en avoir les moyens. Le vol en toute impunité est un privilège comme un autre.